69ème anniversaire de la Libération de Grenoble

Août 23, 2013 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

C’est avec émotion que j’ai participé, ce jeudi 22 août, aux cérémonies officielles commémorant l’anniversaire de la Libération de Grenoble. Des cérémonies très suivies qui ont débuté devant la plaque du 1er bataillon de choc sur le Parvis des Droits de l’Homme et se sont poursuivies au Mémorial de la Résistance et à l’Hôtel de ville en présence notamment de Richard SAMUEL, Préfet de l’Isère, du Général Benoît HOUSSAY, commandant la 27ème BIM, de Christine CRIFO, représentant le Conseil général de l’Isère, de MM. Daniel HUILLIER, Président de Résistance Unie, et  M. Renaud PRAS, directeur de l’ONAC.

Je vous propose de découvrir le discours que j’ai prononcé à cette occasion :

Monsieur le Préfet,

Mesdames et Messieurs les Consuls,

Mesdames et Messieurs les Elus,

Mesdames et Messieurs les Résistants et anciens combattants,

Mesdames et Messieurs les présidents d’associations,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Ce 22 août 2013, permettez-moi de dédier cette réception à la mémoire de Jean Moulin, dont nous avons commémoré il y a quelques semaines le 70ème anniversaire de la disparition ainsi qu’à la mémoire de Stéphane Hessel, mort au mois de février de cette année après avoir été « utile jusqu’à la dernière minute de sa  vie » comme il le souhaitait.

Permettez moi aussi d’exprimer une pensée affectueuse à l’intention de Simone Lagrange dont l’état de santé s’est profondément altéré cet été.

Un peu plus d’un an avant la libération de Grenoble le 22 août 1944, quelques hommes se réunissaient dans le plus grand secret au 48 rue du Four à Paris, convoqués par le délégué personnel du général de Gaulle – un dénommé « Max » dont personne ne connaissait l’identité.

Pour la première fois, il y avait là, ensemble, les représentants de tous les mouvements de résistance, des partis politiques et des syndicats. Des hommes rassemblés seulement par l’essentiel – cet essentiel qu’ils avaient décidé de placer au dessus de leurs différends idéologiques. « Max » leur fait adopter les buts de la France combattante définis par son chef : faire la guerre ; rendre la parole au peuple français ; rétablir les libertés républicaines dans un Etat où la justice sociale aura toute sa place ; travailler avec les alliés à l’établissement d’une collaboration internationale dans un monde où la France aura retrouvé son prestige. Désormais la Résistance et la France Libre ne formeront qu’une seule entité : la France combattante.

Au soir du 27 mai 1943, Jean Moulin avait accompli sa mission : fonder le Conseil National de la Résistance.

A peine un mois plus tard, le 21 juin 1943, capturé, torturé, il sacrifiait sa vie pour le salut d’un monde qui frôlait l’abîme sous les coups du totalitarisme. Il mourait par amour de la liberté et de la démocratie.

Et les forces de la Résistance regroupées grâce à son impulsion décisive, sa mission allait se poursuivre sans lui jusqu’à la victoire… Mais que de courage, que de volonté, que de sacrifices, que de morts aura coûté cette victoire…

A partir de là, et avec le concours des forces alliées, chaque pouce du territoire national a été chèrement reconquis au long d’un effort titanesque qui s’est étiré durant de longs mois, entre la fin de l’année 1943 et le mois de mai 1945 qui vit la libération des ultimes lieux d’occupation par les armées de l’Axe.

C’était en effet un ennemi implacable qu’il fallait faire céder pied à pied ;  une guerre totale qu’il fallait affronter.

Une guerre totale parce que les puissances de l’Axe visaient la destruction d’États ou la domination de nations vassalisées.

Une guerre totale par ses enjeux idéologiques aussi : les buts de la guerre visaient l’anéantissement, la destruction physique des adversaires, la capitulation sans condition des régimes vaincus et la destruction de leur organisation politique.

Une guerre totale, marquée par le génocide, le crime de masse, l’extermination méthodique de populations qui ne représentaient aucune menace militaire ou politique, sinon dans l’imagination haineuse de leurs bourreaux.

C’est donc le 22 août 1944 que Grenoble recouvrait enfin la liberté. L’armée allemande l’avait abandonnée avant l’aube, menacée par l’avancée des armées alliées débarquées en Provence. Menacée aussi par les maquisards de l’Oisans, du Vercors, par tous les Résistants regroupés au sein des FFI sous le commandement de « Bastide », le Général Alain le Ray.

Albert Reynier, dit Vauban, nouveau Préfet nommé par la Résistance, s’installait place de Verdun. Frédéric Lafleur, le nouveau Maire, investissait l’hôtel de ville.

Ceux qui étaient là se souviennent que le 22 août a été un jour de liesse populaire.

Un jour qui, au-delà des doutes et des divisions, s’inscrivait dans un élan de libération devenu irrépressible. Et un jour qui récompensait enfin les combats opiniâtres d’une Résistance née dès juin 1940.

Résistance militaire d’une armée des Alpes qui était arrivée à bloquer l’offensive italienne dans les Alpes et s’était dressée victorieusement devant les armées allemandes entre le 10 et le 25 juin 1940.

Résistance morale dont le signal avait été donné par les trois députés isérois qui avaient voté contre les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet de la même année.

La fondation du mouvement Combat, les explosions de l’arsenal du Polygone et de la caserne de Bonne, la manifestation du 11 novembre 1943, la Croix de la Libération, le titre de capitale des maquis décerné par Radio-Londres : les grands moments de la Résistance grenobloise sont entrés dans la légende et les noms des grands acteurs de ces années héroïques sont dans les mémoires : Alphonse AUDINOS, Joseph BERNARD, Jean BISTESI, Henri BUTTERLIN, Eugène CHAVANT, Louise COLLOMB, Pierre FLAUREAU, Jean-Marc FOULETIER, Léon GAIST, Jacques GIRARD-CLOT, Marguerite GONNET, les frères HUILLIER, l’abbé GROUES, dit l’abbé Pierre, Aloizi KOSPICKI, Marco LIPSZIK Léon Martin, Paul MONVAL, Louis NAL, Raymond PERRINETTI, Jean PERROT, Etienne POIREAU, Aimé PUPIN, Samuel RAVALLEX, Aimé REQUET, Albert REYNIER, Albert Seguin de REYNIES, Marie REYNOARD, Emile SOUWEINE, Paul VALLIER, Gaston VALOIS, Charles WOLMARCK parmi tant d’autres.

Le 22 août 1944 était un jour de liesse, oui. Mais il ne pouvait pas faire oublier le bilan terrible de l’occupation : 840 fusillés, plus de 2000 hommes tués au combat, autant de disparus, plus de 1000 déportés politiques dont la moitié n’est pas revenue, et 1 000 Juifs déportés depuis Grenoble à partir de 1942 – dont 900 ne sont pas revenus.

69 ans après, nous voici une fois encore fidèles au rendez-vous de la mémoire. Anciens combattants, autorités de la République, élus ou citoyens grenoblois, nous sommes venus célébrer l’anniversaire de la Libération de Grenoble en 1944.

La gratitude, la reconnaissance et l’admiration que nous portons à nos aînés à qui nous devons de vivre dans la liberté et dans la dignité justifient à eux seuls ce rendez-vous, bien sûr. Nous sommes là pour rendre hommage au patriotisme, à l’humanisme, au refus du racisme et de l’antisémitisme de la Résistance française.

Nous sommes là pour parler de l’espoir et célébrer le courage qui animaient ces hommes et ces femmes de l’ombre.

Cet espoir qui renouvelle et régénère les forces au défi de la haine et de l’atrocité, malgré la peur, l’accablement des jours mauvais, malgré les amis perdus.

Ce courage qui s’inscrit dans l’histoire comme un geste de transmission, à la fois banal et magnifique.

Et puis, au fond de nous, il me semble que nous savons que nous sommes là aussi pour honorer l’indignation qui est à la racine de tout cela. Cette indignation chère à Stéphane Hessel, l’indignation comme sursaut opiniâtre de la conscience face à l’effondrement moral.

Autrement dit, à l’exemple des Résistants de tous les temps, nous sommes appelés à notre tour à désigner au monde ce qui est « indigne » de notre humanité et nous y opposer de toutes nos forces.

A propos de l’histoire, Saint-Just écrivait : « Il ne faut rien négliger, mais il ne faut rien imiter ».

Notre devoir d’héritiers n’est évidemment pas de sacraliser ou de répéter des gestes héroïques. Ce que nous devons aux acteurs de ce passé victorieux, c’est « de les continuer » – comme disait Pierre Brossolette, c’est de mettre leur souvenir au service d’un projet pour notre temps.

Et les continuer, c’est traquer les motifs de scandale de maintenant, lutter contre les desseins qui abîment l’humanité d’aujourd’hui.

A mes yeux, et je le dis souvent, la résistance est un mouvement continu de l’histoire contre toutes les formes d’aliénation des êtres humains. Les maux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, mais la violence et l’injustice sont toujours là.

Pour m’en tenir à l’univers qui nous est familier, je rappelle que près d’un tiers de la population active est aujourd’hui en situation de grave précarité dans les pays industrialisés. Que la menace d’une instabilité généralisée y grandit, du fait de la désaffection civique, de la montée en puissance des forces politiques populistes et de l’affaiblissement électoral des partis en situation de gouverner. Que la dynamique de croissance qui a façonné le monde contemporain se heurte de façon de plus en plus pressante à ses limites, notamment pour ce qui concerne les ressources naturelles …

Notre monde traverse une crise profonde. Le mot vient du grec, « krisis » – le moment où le destin d’un malade se joue entre  mourir ou guérir. Au sens figuré, la « krisis » signalait pour les Grecs l’urgence du partage qu’il convenait de faire entre le juste et l’injuste.

Pour beaucoup, les résistants de 39-45 ont fait l’expérience radicale de ce choix.

Bien sûr, il n’est pas question pour nous de juger l’actualité de ce début du 21ème siècle à l’aune de ce qu’elle était en 1943 ou 1944 au moment de l’élaboration du programme du Conseil National de la Résistance. Ce programme qui a posé les jalons de l’Etat-Providence et de l’Etat « stratège » de l’après-guerre.

La crise à laquelle nous devons faire face est évidemment moins radicale que celle de l’époque. Elle est larvée, rampante, sournoise. Mais elle est profonde –  dure pour beaucoup – et de plus en plus. Il existe encore dans notre vieille Europe – et c’est en grande partie le leg de Jean Moulin et du CNR – des amortisseurs importants qui résistent et qui protègent malgré tout de la misère extrême ou du désespoir complet que nous avons connus par le passé.

De la vie de Jean Moulin, de Stéphane Hessel et de tous ceux qui ont partagé leurs combats, je veux retenir les valeurs au nom desquelles ils se sont battus, bien sûr.

Mais je retiens aussi qu’il faut toujours agir à préserver ou restaurer le primat du politique.  Le politique en tant que « première éducation du genre humain par l’ordre et la justice », pour reprendre l’expression d’un enseignant qui a marqué ma jeunesse.

L’un et l’autre nous ont montré qu’il fallait d’abord s’engager, tenir, combattre.

Mais le témoignage de leurs vies nous apprend également que la lutte au présent ne prend sens que si elle s’inscrit dans une pensée forte pour l’avenir. Que si elle tient le cap du futur, que si elle permet de poser les fondations d’un monde transformé et renouvelé – d’abord par l’épreuve puis par son dépassement.

« Ce n’est pas la révolte elle-même qui est noble, mais ce qu’elle exige », écrivait Camus.

Là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin. Cet enseignement que nous  mettons en pratique à Grenoble, nous l’avons appris de nos glorieux devanciers. C’est pourquoi, mesdames et messieurs les résistants, nous serons toujours fidèles à ce rendez-vous de la mémoire – qui est aussi celui de l’avenir.

Vive le message de la Résistance !

Vive notre Ville compagnon de la Libération !

Vive la France, notre patrie !

Et vive l’Europe, notre avenir !