« Etudiants étrangers : nouveaux ennemis de l’intérieur ? »

Jan 9, 2012 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Avec le Pôle enseignement supérieur et recherche de Terra Nova, j’ai publié ce matin une tribune dans Libération intitulée : « Etudiants étrangers : nouveaux ennemis de l’intérieur ? » :

Le 31 mai 2011, le ministre de l’Intérieur et celui du Travail ont cosigné une circulaire relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle. Celle-ci encadre de manière drastique les procédures applicables à un étudiant étranger souhaitant modifier les motifs de son séjour en France pour demander une carte de séjour qui lui permette d’avoir une activité salariée.

La cible de ce texte ? Les étudiants étrangers non européens diplômés des universités ou des grandes écoles ne relevant pas d’accords bilatéraux. On peut les estimer à 30 000 environ. Sur plus de 2 200 000 étudiants, ils représentent à peine 0,15% ! Des jeunes qui choisissent la France pour sa langue, pour sa culture, pour la qualité de ses formations et pour son art de vivre. Ainsi à Grenoble, 19 langues sont enseignées dans les différents établissements de l’enseignement supérieur aux 61 000 étudiants accueillis chaque année.

Face aux pressions appelant au retrait de la circulaire du 31 mai, le gouvernement a publié le 6 septembre un décret qui durcit encore plus les conditions d’obtention d’un visa pour étudiants. Il fallait à ce jour justifier de 460 euros de ressources mensuelles pour obtenir ses papiers. Il faudra désormais justifier de 620 euros, soit 30% de plus, montant qui représente plus de 15 fois le salaire minimum au Cameroun ! Ces deux textes malheureux et la politique qui les sous-tend relèvent d’une triple faute contre la France : faute culturelle, faute politique et faute économique.

La première faute tient à l’atteinte portée à la diversité culturelle dont la France se veut le porte-parole. L’arrivée des étudiants étrangers participe du rayonnement de notre culture et de la langue française. C’est aussi un apport littéraire, artistique et scientifique exceptionnel. Faut-il rappeler les noms de ces exilés volontaires qui ont rejoint la grande Histoire de la littérature ou de la science ? Marie Curie, Romain Gary et Georges Charpak ont été étudiants étrangers. Léopold Sédar Senghor a été camarade de khâgne de Georges Pompidou. Sa poésie a été une des plus belles défenses et illustrations de la langue française. Il est vrai qu’on ne saurait exiger de ceux qui méprisent la Princesse de Clèves d’avoir compris l’éclat qu’il a su donner à la culture française, à la «Francité» comme il disait, par-delà les océans.

La faute politique est surprenante de la part d’un camp qui cherche à faire croire à l’efficacité de sa «politique» d’immigration. Qui peut croire que réduire de quelques centaines les étudiants recrutés après leurs études ou venant faire un troisième cycle en France chaque année ait le moindre impact sur les flux migratoires ?

La faute économique, enfin. Ce sont les intérêts à long terme de la France qui sont bafoués. Nous sommes entrés dans l’ère du savoir. Une compétition mondiale pour la connaissance est en cours. La croissance de demain, les progrès de la science et de la technique, y compris pour faire face aux nouveaux défis, se jouent sur la qualité des investissements dans le «capital humain» et donc, pour une bonne part, dans le nombre d’ingénieurs et de docteurs que nous formerons. C’est un non-sens économique pour les entreprises de taille intermédiaire, les PME et l’innovation. Les étudiants étrangers contribuent à leur développement et à leur rayonnement notamment dans le secteur scientifique, où l’on note une chute vertigineuse des vocations. Tous les grands pays industriels qui misent sur la recherche et le développement, l’innovation et l’industrie ont créé des binômes avec les étudiants et chercheurs étrangers, dans le cadre d’une stratégie gagnant, gagnant.

Ajoutons ceci : ces étudiants ne prennent pas la place de Français. Une enquête publiée en 2008 à la Documentation française montrait que seuls 26% parmi ces étudiants envisageaient de rester en France après leurs études. La très grande majorité était décidée à rentrer dans leur pays d’origine et à participer à son développement. Ceux qui restent sont souvent recrutés dans des secteurs en tension et dans des domaines où leur expertise est jugée exceptionnelle.

Le gouvernement de Lionel Jospin a su mener une politique d’accueil en simplifiant les procédures administratives pour ces étudiants, en créant des bourses spécifiques, en redéfinissant la politique internationale des établissements, en rendant plus accessibles les autorisations provisoires de travail. Un Conseil national pour l’accueil des étudiants étrangers en France avait été créé. A Grenoble, quel enrichissement intellectuel et culturel que d’accueillir dans nos universités, nos grandes écoles et nos 129 laboratoires de recherches, 9 000 étudiants d’origine étrangère de 160 nationalités différentes ! C’est un creuset pour la créativité et l’avenir de la science et de l’innovation grenobloise !

Dans un monde traversé d’incertitudes et de tentations d’exclusions, la France doit garder son ouverture et sa confiance dans sa capacité à attirer les plus brillants cerveaux. Elle doit les sensibiliser d’autant plus vigoureusement à notre culture et à nos valeurs. La simple atténuation des formulations de la circulaire ne suffit pas : il faut la faire disparaître.

Nous appelons, en premier lieu, au retrait immédiat de cette circulaire dans son intégralité et nous demandons instamment que les services en charge des procédures relatives aux étudiants étrangers examinent leurs situations avec la plus grande bienveillance. En second lieu, nous demandons l’abrogation du décret du 6 septembre 2011 et la fixation d’un montant de ressources par mois qui ne soit pas discriminatoire et n’ait pas pour seul objet de dissuader les étudiants de venir en France. Ces trois fautes traduisent une même attitude : repli identitaire, repli politique, repli économique. C’est ainsi que s’engage le déclin des grandes nations.