Journée du souvenir de la déportation

Avr 26, 2010 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Michel Destot et Monsieur le Préfet ont rendu hommage aux victimes de la déportation.

Michel Destot et Monsieur le Préfet ont rendu hommage aux victimes de la déportation.

Monsieur le Préfet,
Madame la députée,
Madame la vice-présidente du Conseil général,
Mesdames et messieurs les Elus,
Monsieur le recteur,
Madame l’Inspectrice d’académie,
Mon général,
Monsieur le directeur de l’ONAC,
Mesdames et messieurs les présidents d’association,
Mesdames et messieurs,

 

 

A l'occasion de la Cérémonie, Michel Destot a reçu la médaille éditée par la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes pour son engagement.

A l'occasion de la cérémonie, Michel Destot a reçu la médaille éditée par la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes pour son engagement.

Dans le grand livre des témoins de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes, mon ami Stéphane HESSEL distingue, je le cite, « ceux que ce passé hante encore dans la mémoire et ceux pour qui il revêt déjà l’aspect d’un moment unique de l’histoire, moment porteur d’une charge exceptionnelle d’humanité ». On ne saurait mieux formuler la raison d’être de la journée nationale du souvenir de la déportation. En même temps que nous sommes venus témoigner notre solidarité envers ceux qui ont été à jamais marqués dans leur chair et dans leur esprit par l’épreuve des camps, nous sommes réunis là aussi pour affirmer malgré tout, et parfois contre tout, un message d’espoir dans l’avenir de l’humanité. Cette journée du souvenir est un temps de recueillement. Mais elle doit être également consacrée à l’espérance.

 

Nous commémorons en ce jour le 65ème anniversaire de la Libération des camps de l’Allemagne hitlérienne. Cette libération intervint dans les derniers jours de la guerre, de janvier à avril 1945. Elle symbolisa la victoire de la liberté sur le nazisme, elle scella le sens du combat qui avait été mené par les Alliés depuis 1939. Les camps de concentration et les camps d’extermination sont en effet consubstantiels au nazisme : ils n’ont pas seulement interné les opposants politiques puis réduit en esclavage des millions d’individus au profit de la machine de guerre nazie. Ils ont été avant tout la manifestation atrocement logique de la barbarie et du nihilisme hitlériens, qui voulaient réduire des êtres humains à l’état de chose. Le nazisme eût été impensable sans les camps, et c’est bien ce lien qui en fait le plus grand crime qui ait jamais été commis contre l’humanité.

 

Le camp de Dachau ouvre en mars 1933, quinze jours à peine après l’obtention des pleins pouvoirs par Adolf HITLER. Des militants de gauche y seront détenus jusqu’en 1945. Après les prisonniers politiques ou d’opinion, les camps voient affluer les résistants. Et à partir de 1942 les camps d’extermination – Auschwitz, Belzec, Chelmno, Treblinka – poursuivent la destruction des Juifs d’Europe qui avait été entamée un an plus tôt par la Shoah par balles.

 

Des millions d’hommes et de femmes ont souffert et disparu dans ce système concentrationnaire. La France a payé pour sa part un lourd tribut. Elle a vu partir 141 000 déportés. Parmi eux, 42 000 résistants, dont la moitié laissa la vie dans les camps. Et 75 000 Juifs, dont 11 000 enfants. Il n’y eut que 2500 survivants Juifs parmi les déportés depuis la France. Le souvenir de ceux qui sont restés vient d’être honoré à l’occasion de Yom Ha-Shoah comme il l’avait été par notre ville à l’occasion de l’anniversaire de la Libération des camps d’Auschwitz-Birkenau.

 

A Grenoble, cette statistique macabre est encore plus considérable si on la rapporte au nombre d’habitants. 1000 Juifs et 1000 résistants furent déportés depuis notre ville. Cette tragique spécificité s’explique par la double vocation de Grenoble, capitale des maquis et ville d’accueil pour les persécutés, à la fois « Petite Russie » pour les soldats allemands et « Petite Palestine » pour les 30 000 Juifs qui y trouvèrent refuge. La manifestation du 11 novembre 1943, qui fut l’un des hauts faits d’arme de la population grenobloise et qui contribua à la remise de notre Croix de la Libération, eut bien sûr également sa part : près de 400 manifestants furent déportés à Buchenwald, Dora et Flossenbourg –j’adresse en ce jour à leurs survivants un amical salut.

 

Il nous est impossible de partager avec les déportés l’épreuve qu’ils ont endurée. Informé par les services alliés de ce qui se déroulait dans les camps, Jean MOULIN avait déclaré à l’un de ses compagnons de clandestinité : « Si nous sommes pris, j’espère qu’ils nous fusilleront ». Bien sûr, nous avons lu de si nombreux documents sur les camps, des chefs-d’œuvre littéraires de Robert ANTELME, de Primo LEVI ou de Jorge SEMPRUN aux plus humbles témoignages recueillis par la FNDIRP, qu’il ne nous semble plus rien ignorer de la barbarie du garde-chiourme nazi répondant qu’il n’y avait pas de pourquoi à la question du déporté qui ne comprenait pas la raison d’être de cette haine gratuite, ni du sort de ces individus mourant de faim, de froid et d’épuisement, ni du destin des Juifs, décidé dès leur arrivée dans les camps par les SS qui en condamnaient certains à la mort immédiate et d’autres à une mort plus lente.

 

Mais tout ce qui nous attache à la condition humaine nous interdit de comprendre ce crime qui fut sans précédent. La seule chose que nous pouvons comprendre des camps – il est vrai essentielle – ce sont les actes de solidarité qui témoignèrent de la bonté des hommes là où elle était niée. C’est le partage avec son camarade d’un bout de pain au saindoux par un déporté mourant pourtant de faim. Ce sont les déportés catholiques faisant le guet pour permettre l’organisation d’une réunion du parti communiste. Ce sont les militants communistes surveillant ces mêmes alentours pour assurer la tenue d’une messe. C’est ce prêtre entrant dans la chambre à gaz avec des enfants juifs. C’est l’organisation clandestine du camp de Buchenwald, qui permit, contre les SS et les kapos, le maintien des liens de solidarité entre les déportés. Voilà, mesdames et messieurs, ce qui a triomphé de la barbarie, avant même la libération des camps. Voilà une des raisons pour laquelle nous conservons la mémoire de la déportation.

 

Cette mémoire-là, il nous revient qu’elle ne soit jamais perdue. Encore conviendrait-il hélas d’employer parfois ce mot au pluriel. Nous savons bien qu’il y a eu deux mémoires de la déportation, c’est pourquoi la journée nationale du souvenir a eu raison de vouloir les rassembler : la mémoire de la déportation de persécution et la mémoire de la  déportation de répression. Disons-le sans faux semblant : elles ont été toutes deux longtemps – trop longtemps – concurrentes. La seconde a éclipsé la première avant de sombrer dans un relatif oubli.

 

Dans la France d’après-guerre, qui pansait ses plaies et voulait se purifier de l’humiliation des années noires, les déportés résistants se virent logiquement mis à l’honneur. Il s’ensuivit une incompréhension radicale de la spécificité de la déportation juive. Les rares survivants eux-mêmes ne savaient comment faire partager ce qui était indicible, ils pressentaient que la société n’était pas encore en mesure de les entendre. Depuis une quarantaine d’années, la mémoire juive a enfin été admise – et partagée par tous. Le succès du très beau film « La rafle » n’en est que le dernier exemple. L’indifférence comme le négationnisme ont été vaincus. La destruction des Juifs d’Europe est devenue aujourd’hui le symbole des crimes du nazisme.

La Ville de Grenoble participe à ce refus de l’indifférence et à cette volonté de faire vivre la mémoire de la déportation. Nous sommes liés comme vous le savez par une convention avec le Mémorial de la Shoah, nous organisons chaque année des voyages de lycéens à Auschwitz, et nous avons menés grâce à l’historien Tal BRUTTMANN une recherche sur les persécutions antisémites comme aucune autre collectivité française n’en aura produite. Une recherche qui se traduira fin mai par l’ouverture d’une exposition au Palais du Parlement et par un colloque scientifique de niveau international.

C’est dire si nous sommes attentifs au devoir de mémoire vis-à-vis de la Shoah.

 

Pour autant, et je vous le dis avec gravité, je vous avoue craindre que la France oublie aujourd’hui un autre pan de son histoire. En couverture des manuels scolaires, la Seconde guerre mondiale se résume désormais au portail d’Auschwitz et au débarquement des GI’s en Normandie. Comment un grand pays comme le nôtre peut-il cependant vouloir fonder son avenir sur l’ignorance des pages les plus glorieuses de son passé ? Il faut au contraire que le combat des patriotes pour notre indépendance et notre dignité et le souvenir de leurs sacrifices demeurent dans le cœur et l’esprit de notre jeunesse afin de lui inspirer la fierté d’être française.

 

Jean FERRAT avait ce souci lorsqu’il écrivait sa très belle chanson « Nuit et brouillard ». La Ville de Grenoble le revendique à son tour lorsque nous rappelons le souvenir de tous les déportés, comme nous l’avions fait pour le 60ème anniversaire en présentant des portraits géants des uns comme des autres.

 

Ce souvenir de tous les déportés, quelle qu’ait été la cause de leur martyre, prend aujourd’hui la même signification, il nous appelle au même combat : le combat pour les droits de l’Homme, le combat contre le fanatisme et le racisme, les préjugés, l’exclusion et le recours à la force. C’est là le combat pour l’Homme. Nous constatons qu’il est demeuré d’actualité après la Seconde guerre mondiale. Depuis que nous avions proclamé « Plus jamais ça ! », nous avons vu fleurir des camps de concentration dans l’ancienne Yougoslavie et des crimes contre l’humanité ensanglanter encore notre continent. Le monde a connu le génocide khmer puis celui des Tutsis. Aujourd‘hui encore le Darfour subit une tragédie qui n’a pas cessé d’être même si elle s’est vue chassée de la Une des journaux. Le poison du nationalisme menace toujours notre planète.

 

Nous nous estimons pour notre part préservés de ces périls. L’Europe est enfin en paix et elle se veut fidèle aux idéaux démocratiques. Demeurons cependant vigilants et n’ayons pas peur de revendiquer notre attachement aux droits de l’Homme dans les relations internationales. Soyons toujours les dignes dépositaires du serment de Mauthausen, qui fut prononcé par les déportés quelques semaines après la guerre, le 16 mai 1945.

 

« Nous voulons, disaient-ils, après avoir obtenu notre liberté et celle de notre nation, garder le souvenir de la solidarité internationale du camp et en tirer la leçon suivante : Nous suivons un chemin commun, le chemin de la compréhension réciproque, le chemin de la collaboration à la grande œuvre de l’édification d’un monde nouveau, libre et juste pour tous. Nous nous souviendrons toujours des immenses sacrifices sanglants de toutes les nations qui ont permis de gagner ce monde nouveau. En souvenir de tout le sang répandu par tous les peuples, en souvenir des millions de nos frères assassinés par le fascisme nazi, nous jurons de ne pas quitter ce chemin »

 

Puissions-nous à notre tour inscrire nos pas dans ce chemin-là  !

Puissions-nous rechercher avec le même courage et la même exigence la solidarité humaine à laquelle nous conviaient les déportés !

Vive le souvenir de la déportation !

Vive la mémoire des déportés !

Vivent les droits de l’Homme !

Vive notre ville compagnon de la Libération !

Vive la République et vive la France !