Politique de la ville : «Pour rénover un quartier, il faut viser une plus grande mixité»

Août 3, 2013 | Actualités, Dans les médias | 0 commentaires

Hier, j’ai accordé une interview à Libération dans laquelle je reviens sur la présentation en Conseil des Ministres du projet de loi de réforme de la politique de la ville. Je vous invite à en prendre connaissance ci-dessous ou directement sur le site Libération.fr :

INTERVIEW Le projet de loi de réforme de la politique de la ville a été présenté en Conseil des ministres. Un projet encourageant pour Michel Destot, maire PS de Grenoble, président de l’Association des maires des grandes villes de France.
Par KIM HULLOT-GUIOT

Michel Destot est le maire (PS) de Grenoble et député de l’Isère. Il préside l’Association des maires des grandes villes de France. Il revient sur le projet de loi, qui sera débattu à la rentrée au Parlement, de réforme de la politique de la ville, présenté vendredi en Conseil des ministres par François Lamy.

Le critère pour donner la priorité à un quartier sera son niveau de pauvreté (1). Est-ce pertinent ?

Oui, le critère de pauvreté est pertinent si on veut partir de la réalité de ces quartiers. C’est dans les ZUS [zones urbaines sensibles, ndlr] que le taux de chômage est le plus élevé, et l’écart s’est encore creusé avec la crise. Un habitant sur trois y vit en dessous du seuil de pauvreté, et de plus en plus, cela pèse sur les jeunes qui vivent mal la déscolarisation, la discrimination à l’emploi etc. Donc, compte tenu de ces difficultés, ce critère me semble le bon. Ces dix, vingt, trente dernières années, on a avancé sur la rénovation et tous les élus faisaient valoir que ce critère était le plus mal traité.

Le projet de loi intègre le traitement social des habitants. C’est une nouveauté…

Dans ce projet de loi, il y a une recherche d’équilibre entre l’urbain et le social. Ce qui n’est pas dit si nettement mais qui est sous-jacent, c’est que c’est bien de rénover le bâti mais qu’on doit le concevoir dans une approche sociale (éducative, ce qu’on peut envisager en terme d’emplois, de prévention, de sécurité, de soutien à la vie associative, de formation professionnelle…). Tout cela est une nécessité évidente au niveau du quartier mais aussi, de façon plus générale, au niveau d’une ville, d’une agglomération…

La question qui se pose est celle du peuplement : on ne peut rénover un quartier si on ne vise pas une plus grande mixité. Il faut une homogénéïté plus grande qu’aujourd’hui, où on a des quartiers qui sont au contraire très codés, avec beaucoup de logements sociaux, de familles monoparentales, d’origine étrangère, etc… Il est évident que cela crée des difficultés suplémentaires. D’autant que la carte de la pauvreté a beaucoup évolué : il y a 20 ans, un pauvre était une personne âgée vivant en milieu rural, aujourd’hui c’est un jeune urbain issu de famille monoparentale et souvent d’origine étrangère.

Les habitants concernés devraient être associés aux processus de concertation des projets de rénovation urbaine. Cela n’était pas le cas avant. Est-ce une avancée nécessaire ou un vœu pieux ?

Ce n’est pas forcément une nouveauté : il y a eu dans beaucoup de villes, dans ces quartiers, des concertations qui ont été mises en place. Ce qui importe c’est que la population puisse s’approprier ces changements. On a gagné quand il y a une une prise en compte par les habitants des changements. Mais il ne suffit pas de faire des réunions, il est bon qu’une disposition législative entérine ce principe. Il serait opportun de mobiliser les initiatives qui ont déjà eu lieu.

Il y aura entre 1 000 et 1 300 quartiers prioritaires, alors qu’il existe 750 Zones urbaines sensibles et 2 500 Contrats urbains de cohésion sociale. Donc le compte n’y est pas…

Le choix du gouvernement est celui de l’efficacité : il a une enveloppe budgétaire qui est ce qu’elle est. Il est évident que des élus vont remettre en cause la sortie de leur ville de ces zones. Mais chacun reconnaît qu’une plus grande concentration des moyens est nécessaire dans l’enveloppe budgétaire qu’on a actuellement. Le critère de la pauvreté est donc important. Il faudra enrichir le texte pour prévoir une sortie en douceur des territoires qui ne seront plus reconnus comme prioritaires.

Des politiques ont été menées sur dix, vingt ou trente ans : il est donc important qu’on ne lâche pas les maires des quartiers qui en sortiront, qu’on essaie de voir comment, sur les années qui viennent, on pourra indirectement permettre de poursuivre les politiques qui ont été menées, même si on en engage pas de nouvelles.

Les mesures proposées sont-elles suffisantes ?

L’avenir le dira. Tout le monde reconnaît que beaucoup de choses ont été faites à partir de la politique de renouvellement urbain voulue par Jean-Louis Borloo. Dans le même temps, depuis six ans, la politique de la ville de Nicolas Sarkozy était invisible. Après la suppression de la politice de proximité, la suppression de postes d’enseignants ou de Pôle Emploi, on ne peut que se réjouir que le contrat de Ville prévoit une meilleure articulation entre les volets urbain et sociaux, même si c’est un travail de longue haleine, face à des situations d’extrême précarité.

Le texte prévoit de pousser à l’intercommunalité, c’est-à-dire de faire travailler ensemble des communes voisines. Etes-vous optimiste sur la mise en œuvre d’un tel projet ?

Au moins c’est cohérent avec la loi de décentralisation. En dehors de la région parisienne, cette élaboration conjointe se fait déjà, par exemple entre Echirolles et Grenoble. En province, ce sont principalement dans les grandes agglomérations qu’il y a des quartiers difficiles. Nous avons des quartiers avec des taux de logement sociaux extrêmement importants, jusqu’à 85%, et des communes d’une même agglomération avec très peu de logements sociaux. Le fait de s’appuyer sur la coopération, sur l’intercommunalité, est donc une très bonne chose si on veut une meilleure articulation du territoire. C’est important que nous puissions avancer de cette façon là avec l’Etat, même si c’est peut-être un peu plus compliqué en région parisienne.

(1) 60 % du revenu médian de référence, soit 960 euros hors prestations sociales, par ménage.