Trente ans après les lois Mauroy-Deferre qui avaient donné une véritable impulsion à la décentralisation en France et quelques années après les lois Raffarin II qui avaient largement ignoré les villes, les multiples rapports remis au Président de la République portant sur la question des métropoles pouvaient laisser croire que le fait urbain allait enfin être reconnu en France, pays jacobin, centralisé.
Aujourd’hui, 80% de nos concitoyens vivent en zone urbaine, 60% dans les grandes villes. En 1950, au plan mondial, 30% des êtres humains vivaient en ville, ils sont 50% aujourd’hui et seront plus de 70% en 2050.
Les villes sont bien sûr des lieux où se concentrent souvent charges et tensions sociales, mais elles sont aussi les moteurs de l’économie de la connaissance, des lieux de consommation, de foisonnement culturel et social, d’ancrage le plus solide de la démocratie et d’innovation en matière éducative ou écologique.
Depuis le XII siècle, les villes ont joué un rôle décisif à chaque étape de notre histoire : invention de l’économie marchande, invention de la démocratie, révolution industrielle. Il en est de même aujourd’hui. Après un demi-siècle dominé par l’automobile, l’énergie bon marché, la privatisation des espaces et l’étalement de l’habitat, nous devons inventer d’autres solutions urbaines, nécessitant d’autres stratégies. Ces dernières doivent reposer à la fois sur une vision inscrite dans la durée, sur une ingénierie qui demande des moyens importants et de qualité, et sur une dynamique collective, nourrie des aspirations de tous les acteurs urbains dont bien sûr les citoyens eux-mêmes.
Au cours du débat autour de projet de réforme des collectivités locales, les Maires de Grandes Villes de France se sont prononcés en faveur de métropoles adaptées à la France, conformes au dynamisme de nos grandes villes, et efficaces dans un aménagement équilibré de notre territoire national.
Malgré ces recommandations, le gouvernement n’a pas proposé le projet stratégique attendu, permettant aux grandes villes de France de relever les grands défis qui sont devant nous. A défaut de vraies métropoles fondées sur des atouts économiques structurels, sociaux, culturels et environnementaux, le texte que l’Assemblée nationale s’apprête à voter prévoit un concept de métropole avec pour seul critère d’éligibilité un seuil démographique.
Comment penser que le succès d’une grande ville ne tient seulement qu’à l’importance de sa population ?
Il serait utile de relire le discours du Président de la République prononcé à Saint Dizier le 20 octobre 2009 lors du lancement de la réforme : « …Pour ma part, je n’aime pas beaucoup que l’on soit esclave des seuils… Si des villes comme Orléans, comme Grenoble, dès lors qu’elles ont une population significative, veulent se transformer en métropole, c’est un plus pour la France. Il faudra les y encourager. Tout comme il aurait été absurde, en fixant le seuil à 500 000, d’écarter Strasbourg, ville-capitale, ville frontière, alors que tout en elle aspire à relever les défis de la modernité».
Avec un tel manque d’ambition, il sera difficile de rendre ces métropoles attractives… Rappelons que la métropole ne sera pas une vraie collectivité, seulement un EPCI. Elle ne bénéficiera pas de la force de l’élection au suffrage universel direct et ne disposera pas de ressources supplémentaires pour affronter de nouvelles responsabilités.
A ce sujet, pourquoi avoir engagé la réforme de l’impôt économique, la Taxe Professionnelle, avant celle des collectivités territoriales ? Bref, pourquoi avoir mis la charrue avant les bœufs ?
Pourquoi ne pas avoir organisé, comme cela a été le cas pour l’environnement, un Grenelle de la fiscalité locale avec tous les acteurs concernés, à commencer bien sûr par les élus locaux ?
Le résultat, nous le connaissons à l’avance, je le crains. Il y aura peu, pour ne pas dire pas de métropoles, mais surtout, et c’est plus grave, il y aura une baisse dramatique des investissements à l’initiative des collectivités territoriales qui sont aujourd’hui responsables de près de 75% de l’investissement civil public en France, dans un pays gravement sous dimensionné dans le domaine.
Pouvons-nous rêver avec un tel projet ? Ou tout simplement croire à une avancée de la décentralisation dans notre pays ?
Christian Saint-Etienne, dans son adresse au président de la République, rapportait que « le point décisif des auditions qu’il avait menées, toutes couleurs politiques confondues, est une demande d’un État avec un projet stratégique pour le pays, qui soit capable de travailler en partenariat avec les métropoles, les régions, les départements et les villes, sans chercher à doublonner les activités qui sont de la responsabilité des collectivités territoriales».
Il nous faut atterrir, malheureusement, avec un projet qui manque sérieusement de souffle décentralisateur. On peut même craindre un retour autoritaire à la centralisation, contraire au sens de l’histoire.
C’est même incompréhensible quand on observe partout dans le monde l’évolution des choses au profit des régions, des grandes villes et agglomérations en matière de compétences et de ressources.
Président de l’Association des Maires de Grandes Villes de France, j’ai eu l’occasion au cours de ces derniers mois d’échanger avec mes collègues européens, japonais, indiens, chinois, américains et même africains.
Partout, quelles que soient l’histoire, la tradition culturelle, la taille ou la structure géographique du pays concerné, partout l’heure est à la métropolisation dans un contexte de globalisation de l’économie mondiale, pour mieux protéger les habitants et pour innover dans l’intérêt de l’ensemble des territoires.
Il faut du temps, souvent beaucoup de temps pour changer de rythme, de culture politique dans un pays qui a souvent du mal à marier ses traditions dites démocratiques avec les impératifs de la modernité et de l’avenir.
Je ne pouvais que me réjouir, au vu des innombrables rapports et documents sortis au cours des dernières années, de ce que le fait urbain allait contribuer à réinventer la politique.
Le rêve n’a pas duré.
Rendez-vous manqué ! Je le regrette pour mon pays et pour l’Europe.