Décryptage de la réforme pénale par Pierre Albert, avocat pénaliste

Juin 10, 2014 | Actualités, Non classé | 0 commentaires

Alors que le projet de loi sur la Réforme pénale a été adopté cet après-midi en première lecture par l’Assemblée Nationale,  j’ai demandé à mon ami l’avocat pénaliste, Pierre Albert, de décrypter ses enjeux pour notre système pénal, à travers une interview plutôt didactique !

 

 

 

Quels sont les principaux changements que cette loi va apporter à notre système répressif?

Le premier grand changement se situe dans la suppression des automatismes que sont les peines plancher qui instauraient  un système de seuils minimaux pour les condamnations en récidive, mécanisme hérité du quinquennat de Nicolas Sarkozy, ainsi que la révocation automatique des sursis. C’est un véritable progrès pour rétablir le principe de l’individualisation des peines.

Autre mesure phare : la création d’une nouvelle peine sans emprisonnement, la contrainte pénale, qui consiste, sous le contrôle du juge d’application des peines (JAP), à respecter en milieu ouvert des obligations et interdictions durant six mois à cinq ans, afin de prévenir la récidive en favorisant la réinsertion dans la société.

Enfin, dans les principaux changements il y a le renforcement du contrôle par le JAP ainsi que le renforcement du pouvoir de police concernant les sortants de prison , avec un risque d’attenter à la séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le judiciaire, pour la révocation de tout ou partie de la contrainte judiciaire et le retour en prison.  L’accroissement des pouvoirs du JAP sur les sortants (géolocalisation, écoutes téléphoniques…) avec le pouvoir de révocation de la contrainte judiciaire en cas de manquements du condamné, même avec le recours à un autre JAP du ressort, est aussi de nature à poser un problème d’impartialité et de respect du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Progrès véritables ou régressions donc pour notre système pénal avec ce projet de loi ?

Il y a un consensus sur de nombreuses mesures de nature à améliorer le système pour sortir des dérives répressives, prévenir la récidive et agir pour la réinsertion des délinquants, d’un côté, et des mesures visant a lutter contre le prétendu laxisme de notre système pénal, de l’autre. J’admire l’audace de Mme Taubira  qui a conduit cette réforme avec détermination mais qui a aussi dû faire face à de nombreuses contraintes, sans pouvoir parvenir à rassurer complètement sur la mise à disposition des moyens matériels et humains nécessaires à la mise en œuvre de la réforme pour qu’elle soit un succès.

Quels sont donc, concrètement, les critiques qui peuvent  être adressées à l’encontre de ce projet de loi ? 

Il y a d’abord, en contrepoint de l’avancée que constitue la contrainte pénale, la réforme de l’aménagement des peines dont les seuils d’examens ont été unifiés à un an, après le passage du projet de loi en Commission des lois de l’Assemblée. C’est selon moi une régression par rapport au système antérieurement en vigueur qui prévoyait deux ans pour la première condamnation et un an pour la récidive.

Il y a ensuite des incertitudes à lever telles que celle de la constitutionnalité sinon celle de la conventionalité du renforcement du pouvoir du JAP et de la concurrence indirecte du pouvoir de police, via le préfet et les CLSPD.

Puis il y a une difficulté intellectuelle à positionner la contrainte pénale par rapport au sursis avec mise à l’épreuve.

Cette condamnation d’inspiration américaine, qui a prouvé son efficacité outre-Atlantique, se heurte encore à des difficultés politiques de définition du périmètre d’application (applicable à tous les délits après le passage du projet de loi en commission des lois, ou limitée aux délits passibles au maximum de cinq ans de prison selon la volonté du gouvernement ?). Sur ce point un nouveau consensus a été trouvé avec l’amendement du rapporteur Dominique Raimbourg, en la permettant à 5 ans de prison encourus jusqu’au 1er janvier 2017, puis à 10 ans encourus, après cette date.

Les véritables difficultés de la contrainte pénale commencent  évidemment avec la question des moyens qui seront donnés pour que le système fonctionne de façon pleinement satisfaisante.

Loin du système américain, en France, un agent de probation traite en moyenne actuellement 150 dossiers. Il manque donc des centaines de conseillers d’insertion et de probation (CPIP) et des dizaines de juges d’application des peines pour que le système fonctionne de façon pleinement satisfaisante.

En ce sens la promesse du gouvernement de créer 400 postes de conseillers d’insertion et de probation et 40 postes de JAP va dans le bon sens, bien que ces chiffres soient déjà considérés par les professionnels comme très insuffisants.

Et  du côté des victimes, des changements ?

Oui, il y a là de véritables avancées essentielles pour faire progresser la situation des victimes, avec la possibilité de saisir le juge en cours d’exécution des peines, la majoration de 10% des amendes, notamment pénales et douanières, à charge de l’auteur, destinée au financement des associations d’aide aux victimes.

En une phrase, que pensez-vous de ce projet de loi ?

C’est un bon essai qui demande à être transformé…