Je vous invite à prendre connaissance de la tribune que j’ai co-signée dans Le Monde daté de demain et intitulée « Après DSK, quel héritage conserver du « strauss-kahnisme » à gauche ? » :
La mise à l’écart de Dominique Strauss-Kahn du débat politique laisse entières les raisons qui, pour beaucoup de Français, ont fait sa crédibilité. Il permettait d’espérer que la France trouve une meilleure place dans un monde globalisé et que les Français soient mieux protégés et retrouvent confiance dans l’avenir, dans une société plus juste. Les données de l’équation demeurent. C’est le souci que nous avons porté depuis des années avec Michel Rocard. Le Parti socialiste a adopté un projet fait d’analyses sérieuses et de propositions pertinentes. Il faut maintenant le fédérer autour de quelques orientations-clés pour convaincre dans une société inquiète et défiante, qui ne veut pas que les efforts à faire ne soient pas réellement partagés. Nous n’entendons pas nous en tenir aux points qui font un accord général, mais souligner nos préoccupations.
1. Le monde a changé et il ne sert à rien de le nier. Il est loin le temps où l’économie mondiale s’identifiait aux Etats-Unis et à l’Europe ! L’expansion des pays émergents est cruciale pour sortir de la crise. L’investissement et la croissance dans les pays émergents créent de la demande pour nos exportations. Cela rend plus nécessaire que jamais l’investissement et la création d’emplois dans les secteurs économiques d’avenir, les énergies nouvelles, les biotechnologies, les industries numériques… Cela doit éviter de poser de façon biaisée la question du protectionnisme qui n’est pas la panacée que des partis ou des intellectuels prétendent être.
Rechercher la réciprocité dans les règles commerciales est une chose, penser que la « démondialisation » est une solution serait une grave erreur. La bonne perspective est de s’engager dans la construction d’une « gouvernance mondiale » régulatrice et équilibrée entre les puissances d’aujourd’hui.
2. La crise du capitalisme financier, phénomène durable, doit être l’occasion de s’attaquer avec force à ses causes et aux déséquilibres créés : la déréglementation financière et les dérives bancaires, l’instabilité des taux de change et la sous-évaluation de la monnaie chinoise, la faiblesse de la demande dans les Etats qui accumulent les surplus, les déficits excessifs dans de nombreux pays (y compris les Etats-Unis), le partage de plus en plus inégal entre les salaires et les profits distribués. Le monde que nous voulons exige de nouvelles régulations qui doivent mettre en oeuvre des mesures de contrôle du capital.
3. Il n’y a rien de progressiste dans l’acceptation de larges déficits publics et de fortes dettes. Les plus vulnérables et les plus pauvres en sont les premières victimes, comme ils l’étaient, il y a peu, de l’inflation. Le mieux est d’être réellement keynésien : limiter les déficits en période de croissance ; savoir les utiliser en période de récession. Alors que la reprise est faible, l’erreur fatale serait de privilégier la rigueur extrême, tout en menant, en même temps, une politique fiscale protectrice des plus riches ! Les pays nordiques montrent qu’il est possible d’avoir une économie performante, des déficits limités, une fiscalité plus juste.
4. Les difficultés de l’Union européenne sont patentes. Des procédures de solidarité ont été mises en oeuvre dans l’urgence de la crise. Mais elles sont bien insuffisantes. L’euro sera un des sujets de la campagne. Il a apporté de nombreux avantages. Mais il crée aussi des problèmes en favorisant la fiction que tous les pays membres courent les mêmes risques quelles que soient les politiques qu’ils mènent. Nous ne pouvons en rester là. L’acceptation d’emprunts européens est un pas absolument nécessaire au bénéfice d’investissements d’avenir et de solidarité. Mais cela suppose d’harmoniser les politiques fiscales et d’aller plus loin dans l’intégration. Il ne peut pas y avoir d’union monétaire durable sans des formes d’union fiscale et de fédéralisme budgétaire. C’est aussi la condition de la relance du moteur franco-allemand.
5. Les Français ne supportent plus, à juste titre, les inégalités accrues et les comportements indécents parmi les plus riches d’entre eux mis en évidence par la crise. Une puissante réforme fiscale, mettant à égalité toutes les sources de revenus dans la transparence, doit être associée à la volonté de permettre l’accès de tous à une éducation de qualité, à un logement décent, à des soins attentionnés, à la vie culturelle. La gauche doit se fixer des objectifs de réduction réelle des inégalités de la société française. Un accent tout particulier devra être mis sur toutes les politiques qui permettront de réconcilier les jeunes avec la citoyenneté.
6. Nous devons afficher clairement que nous nous inscrivons dans un nouveau paradigme que résume le terme de « social-écologie ». Le développement durable, qui demande de construire progressivement une économie décarbonnée, est un projet de société qui repose la question du travail dans notre société. La réduction du temps de travail n’était pas une erreur. Les critères de ce nouveau modèle de développement, la durabilité, la qualité de vie, la réciprocité… posent tout simplement la question du sens de nos sociétés.
7. La droite sarkozyste, à la remorque de l’extrême droite, fait (et fera dans la campagne) de l’immigration un épouvantail. Et cela dans la plus parfaite hypocrisie – nombre de conservateurs affichés recherchant une main-d’oeuvre bon marché !
Les migrations continueront dans l’état du monde actuel. Pour nous, l’immigration légale est largement préférable au marché noir des êtres humains avec ses drames à répétition. Ce qui est de notre intérêt dans des sociétés inévitablement vieillissantes et, également, de l’intérêt du monde, car l’immigration améliore la distribution des revenus et atténue les tensions. A nous de veiller aux conditions de l’intégration, au respect des droits comme des devoirs qu’elle demande.
8. Pour des progressistes, la finalité de l’action politique est de construire une société meilleure et l’Etat est un instrument pour y aider. Notre conviction est qu’aujourd’hui, en France, il faut repenser les formes de la puissance publique. Notre projet doit être profondément décentralisateur. Cela passe par un véritable transfert de compétences et de moyens de l’Etat vers les collectivités locales, notamment les régions et les pôles urbains, dans des domaines essentiels pour l’avenir comme le développement des entreprises de taille intermédiaire, la recherche, l’innovation, les services publics de proximité.
Au-delà, nous devons faire confiance à l’expérimentation et au contrat pour aller vers un Etat moderne où tous les échelons des collectivités travaillent ensemble pour optimiser l’utilisation d’une ressource publique devenue rare.
En politique, comme dans la vie, arrive toujours un moment où les intentions rencontrent la réalité et passent ensemble un test de vérité. Nous en sommes là aujourd’hui. Pour que la gauche gagne en 2012, elle doit se préparer à bien gouverner. Les crises actuelles valident plutôt les solutions de nature social-démocrate.
Pour convaincre de leur pertinence, et faire face à toutes les démagogies, il faut les expliciter. C’est l’esprit dans lequel nous souhaitons que la primaire socialiste s’engage. Elle n’est pas « une affaire entre socialistes », elle doit d’emblée s’adresser à tous les Français. Le choix à faire doit être un choix positif.
Michel Destot, député, maire de Grenoble et président d’Inventer à gauche ;
Alain Bergounioux, historien, directeur de « La Revue socialiste » et vice-président d’Inventer à gauche ;
Catherine Tasca, ancienne ministre, première vice-présidente du Sénat et vice-présidente d’Inventer à gauche ;
Dominique de Combles de Nayves, avocat, ambassadeur et secrétaire général d’Inventer à gauche ;
Alain Richard, ancien ministre, trésorier d’Inventer à gauche