Exposition Giacometti au Musée de Grenoble

Mar 13, 2013 | 3e circonscription, Actualités, International | 0 commentaires

Je vous invite à prendre connaissance du discours que j’ai prononcé à l’occasion du vernissage de l’exposition Giacometti, le 8 mars au Musée de Grenoble. 

Après « CHAGALL et l’avant-garde russe » en 2011 et « Die Bruke » l’an dernier, le Musée de Grenoble nous présente pour la troisième année consécutive une exposition qui fera date avec celle aujourd’hui consacrée à Alberto GIACOMETTI. Nous devons en être fiers. Même si cela m’inspire une petite crainte : par la force de l’habitude, cette excellence va finir par nous sembler naturelle. Je voudrais cependant que nous demeurions conscients de la contribution du Musée de Grenoble au rayonnement national et international de notre ville. Ces expositions font venir en grand nombre les Grenoblois pour qu’ils s’approprient ce lieu d’art et de culture. Elles ont aussi pour avantage d’affirmer bien au delà de nos frontières que Grenoble n’est pas qu’une ville scientifique (ce qui serait d’ailleurs impossible : une ville est un lieu de savoirs, de réflexions et d’échanges, elle est d’autant plus scientifique qu’elle est culturelle et d’autant plus culturelle qu’elle est aussi scientifique).

Lorsque la revue ARTS MAGAZINE présente le mois dernier le Musée de Grenoble comme, je la cite, « l’un des plus actifs de France », il ne fait que rendre compte de ce qui est dit par tous les observateurs. L’identité novatrice de notre ville réclame évidemment de nous cette ambition. Rien ne peut survenir de pire à un musée que de n’être rien d’autre qu’un musée  sans ouverture sur la vie culturelle de son temps. Grâce à Guy TOSATTO et toute son équipe, qui œuvrent dans le sens que nous avons voulu donner à cet équipement, nous avons au contraire ici un lieu ouvert sur le monde et sur la vie, un musée qui va chercher son public pour élargir son horizon, mais aussi  un musée qui va dans la ville avec ses nombreuses initiatives. Je veux saluer à cette occasion l’exposition « Hors les murs » qui sera bientôt présentée dans les locaux de la bibliothèque Teisseire-Malherbe pour partir à la rencontre de ceux qui ne se rendent pas dans les musées. La culture n’est pas un bel ornement pour la distraction esthétique des élites. Elle est l’un des moteurs de tout projet citoyen car tout le monde a droit à la beauté, tout le monde a droit à comprendre le monde, tout le monde a droit à sa part dans le partage des idées et des émotions qui font avancer notre société. Je suis un réaliste : je connais le contexte socioculturel qui fait que beaucoup de nos concitoyens se sentent intimidés devant la porte des musées, des théâtres et des salles de concert en pensant que cela n’est pas fait pour eux. Mais ce réalisme ne nous condamne pas au fatalisme. Au contraire il nous invite à faire preuve d’ambition. Ce soir je pense à tous ceux qui ne viendront pas voir GIACOMETTI parce que je sais qu’une initiative comme ‘Hors les murs » fera venir certains d’entre eux à de prochaines expositions, qui seront-elles aussi de grande qualité, j’ai confiance en notre conservateur et en ses collaborateurs pour cela.

Aucun artiste n’était sans doute plus symbolique de cette ambition culturelle qui est la nôtre que GIACOMETTI, dont le public grenoblois découvrira à partir de demain plus de 70 sculptures, peintures, œuvres graphiques et photographies, qui proviennent en grande part de  la Fondation GIACOMETTI, que je tiens chaleureusement à remercier, mais qui nous viennent aussi de collections publiques et privées dont je remercie avec la même sincérité les responsables et les propriétaires.

GIACOMETTI est symbolique à trois titres.

Tout d’abord cet artiste témoigne de l’ouverture de notre musée sur l’art contemporain depuis toujours. GIACOMETTI n’a pas été le premier des artistes inaugurant à Grenoble sa présence dans les musées. Avant lui les nombreux artistes repérés par le conservateur ANDY-FARCY (MAGRITTE, PICASSO) avaient été acquis et exposés dans notre ville alors qu’ils ne provoquaient encore partout ailleurs que railleries et sarcasmes. Et le legs AGUTTE-SEMBAT avait considérablement renforcé cette vocation de notre musée, qui en a fait le premier en région pour l’art contemporain. Mais notre musée a été le premier – le tout premier – à le reconnaître, en achetant une œuvre de lui, comme le grand artiste qu’il était, un grand artiste à présent mondialement renommé mais paradoxalement toujours peu présent dans les collections publiques.

En 1952, le conservateur Jean LEYMARIE use de son entregent pour faire acquérir par notre musée l’œuvre La cage, autour de laquelle s’articule notre exposition. Alberto GIACOMETTI tenait tant à entrer au musée de Grenoble, dont il savait ce qu’il représentait en terme de consécration pour un artiste d’avant-garde, qu’il renonça au montant qui aurait du lui être reversé par sa galerie. C’est ainsi que nous avons pu présenter il y a soixante ans cette œuvre exceptionnelle, que la fondation GIACOMETTI vient de nous permettre de restaurer en même temps qu’elle nous prêtait en dépôt à long terme sa première version. A peine nommé, Jean LEYMARIE avait de la sorte inscrit ses traces dans celles de son prédécesseur ANDRY-FARCY. Ce visionnaire nous a quittés il y a sept ans. Je veux ici publiquement rendre hommage à sa mémoire.

Le deuxième symbole que représente GIACOMETTI à Grenoble, c’est le fait qu’il était étranger. On me dira que la Suisse n’est pas très loin d’ici – encore qu’elle se situe en dehors de l’Union européenne. Mais comme MODIGLIANI, PICASSO, CHAGALL, KADINSKY, DALI et tant d’autres – pour ne pas dire la plupart des grands artistes du XXème siècle – GIACOMETTI n’en a pas moins été un étranger venu donner la pleine mesure de son génie dans le vivier culturel de la France. Grenoble ville cosmopolite, aux regards tournés sur l’international et dans les rues de laquelle on entend parler à peu près toutes les langues de la planète, ne pouvait que se reconnaître dans ce citoyen du monde. Le caractère novateur de son œuvre ajoutait bien sûr à cette parenté.

Enfin, nous aimons GIACOMETTI parce qu’il a fait de l’homme le cœur de son œuvre. Dans la cité de la journée des Tuiles, qui donna naissance à la Révolution française, de la Résistance et des Justes, nous sommes tout particulièrement sensibles à l’humanisme de sa création. Cet humanisme peut sembler parfois proche du désespoir, puisque GIACOMETTI sculpta une humanité cherchant à se définir après le désastre de la Seconde Guerre mondiale, mais il n’y sombra jamais. La représentation de la figure humaine dans laquelle l’artiste s’engagea au sortir de sa période surréaliste affirme toujours la noblesse de l’homme au travers des épreuves que le XXème siècle lui aura fait subir. Cette figure déformée, c’est encore celle dans laquelle reconnaître l’autre qui est son semblable et son frère. On songe bien sûr à la philosophie de Emmanuel LEVINAS, un survivant du désastre, sur la figure humaine. Et l’on se souvient de cette juste définition de l’art de GIACOMETTI par Jean GENET : « L’art de GIACOMETTI, disait-il, me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et de toute chose, afin qu’elle les illumine ». Donner aux Grenoblois et à tous ceux qui prendront le chemin de notre ville l’occasion de rencontrer l’être humain dans une œuvre d’art élargissant notre compréhension du monde, c’est la plus belle mission que pouvait remplir notre musée. C’est pourquoi je remercie une nouvelle fois les concepteurs et les soutiens de cette exposition, et je souhaite un très grand succès à cet événement artistique d’une portée nationale. Merci à vous tous surtout de votre attention et merci de votre présence.