Commémoration du 95ème anniversaire du génocide arménien

Avr 26, 2010 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Michel Destot accompagné de Geneviève Fioraso a rendu hommage aux victimes du génocide devant le Khatchkar situé proche de l'Hôtel de Ville.

Michel Destot accompagné de Geneviève Fioraso a rendu hommage aux victimes du génocide devant le Khatchkar situé proche de l'Hôtel de Ville.

Madame la vice-présidente du Conseil général,
Monsieur le président de la maison de la culture arménienne,
Monsieur le président de la fédération des associations arméniennes de l’Isère,
Monsieur le président du comité de défense de la cause arménienne,
Mesdames et messieurs les présidents et représentants d’associations,
Mesdames et messieurs,

« Nier la réalité du génocide arménien relève non pas de l’étude historique mais d’une propagande destinée à affranchir les coupables de leurs responsabilités, en accusant les victimes et en effaçant la signification morale de ce crime ».

Dans une lettre adressée au Premier ministre turc il y a cinq ans, l’association internationale des historiens spécialisés dans l’étude des génocides formulait la raison pour laquelle nous sommes une fois encore rassemblés au pied de notre khatchkar, la raison pour laquelle nous sommes venus rendre hommage aux martyrs du génocide des Arméniens et crier la vérité près d’un siècle après cette barbarie. Descendants de victimes, descendants d’exilés, élus de la République, nous voulons honorer le devoir de mémoire sans lequel les victimes du génocide subiraient une seconde mort.

Souvenons-nous à jamais de la nuit du 24 avril 1915 à Istambul. Cette nuit-là, des centaines d’intellectuels et de notables arméniens furent arrêtés. Cette rafle avait été planifiée par le gouvernement Jeune Turc de l’Empire ottoman, dont l’organisation spéciale se trouvait être le bras armé pour accomplir ses sinistres besognes. La mort de ces intellectuels arméniens fit taire les voix qui auraient pu alerter le monde sur le premier génocide du XXème siècle. Un crime contre l’humanité, inouï par son ampleur, allait être perpétré dans une indifférence à peu près générale à la faveur de la première guerre mondiale.

De mai à juillet 1915, puis à la fin de cette année-là, le gouvernement Jeune Turc procède à ce qu’il faut bien appeler la destruction des Arméniens de l’Empire ottoman. On arrête, on torture, on exécute les hommes au sortir des villages, on déporte les femmes, les enfants et les personnes âgées, on ouvre des camps de concentration, on envoie dans les déserts de Mésopotamie les Arméniens mourir de soif ou sous les coups de bandes armées. Les derniers massacres auront lieu en juillet 1916. A la fin de cet été là, sur les 2 millions d’Arméniens de l’Empire ottoman, un million et demi ont été exterminés. Les survivants ne doivent qu’à l’exil d’avoir la vie sauve. Une civilisation arménienne immémoriale a disparu en quelques mois d’Anatolie.

Le peuple arménien avait déjà subi bien des persécutions avant 1915. En 1894 puis en 1896, puis encore en 1909, des massacres de grande ampleur avaient déjà eu lieu. Jean Jaurès s’en était ému dans un discours magnifique, et hélas prémonitoire, à la Chambre des députés. Mais à partir du 24 avril 1915, les massacres deviennent génocide pour résoudre dans le sang la prétendue question arménienne de l’Empire ottoman.

Les innocents sont peu de choses au regard des passions nationalistes – le XXème siècle le confirmera à l’occasion de maintes tragédies. Comme beaucoup d’entre vous, je me suis rendu au musée du génocide à Erevan. J’ai vu les photographies, insoutenables, des cadavres abandonnés dans le désert, des hommes, des femmes et des enfants squelettiques. C’est un triste symbole que nous commémorions en ces mêmes jours l’anniversaire du génocide des Arméniens et la journée nationale du souvenir de la déportation : nous commémorons dans un cas comme dans l’autre la négation par les criminels de l’humanité de leurs victimes.

Il nous appartient de la rappeler pourtant, cette humanité. Tous les innocents arméniens, ensevelis dans des fosses communes que leurs bourreaux auraient voulu sceller avec notre oubli, tous ces innocents nous réclament, quatre-vingt-quinze ans après, de nous souvenir de leur disparition. Ce devoir de mémoire ne doit pas incomber à la seule communauté arménienne. Albert, Daniel, Grégoire et Monique, et avec vous tous vos amis arméniens fidèles au rendez-vous de la mémoire en ce jour anniversaire, vous vous trouvez bien entendu au premier rang pour organiser cette commémoration en mémoire de la génération de vos grands-parents. Mais les autorités républicaines manqueraient à leurs obligations si elles ne s’y associaient pas. La France a reconnu le génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001, que je suis fier d’avoir voté. Je veux vous dire que vous trouverez toujours à vos côtés la République pour porter haut votre appel à la vigilance contre toute forme de xénophobie, de racisme, de négation des droits de la personne humaine.

Cette solidarité envers les Arméniens, nous la manifestons avec détermination et avec espérance.

Avec détermination, parce que nous ne pouvons pas accepter, près d’un siècle après ce crime, la persistance du négationnisme d’Etat dont se rend encore coupable la Turquie d’aujourd’hui. Nous demandons à la Turquie, avant le centenaire du génocide, d’admettre enfin la vérité historique. Aucun peuple ne reçoit en héritage la moindre culpabilité pour les crimes commis par ses aïeux. Mais tous portent la responsabilité des mensonges derrière lesquels ils croient, à tort, pouvoir se protéger de leur passé. Le négationnisme turc est une faute dont nous devons demander compte à ce pays. Quel sens donner au récent rappel de l’Ambassadeur Turc aux Etats-Unis après le vote, le 4 mars dernier, par une commission de la Chambre des Représentants, d’une nouvelle résolution qualifiant le massacre des Arméniens de Génocide ? Nier ce génocide, c’est en effet le justifier, c’est le reproduire, c’est l’infliger jusqu’à la fin des temps à tous ceux qui sont morts pour la seule faute d’être nés arméniens. Il est indigne de parler d’un prétendu génocide, de minimiser le nombre des victimes, de réécrire l’histoire. Il est indigne d’évoquer les troubles de la guerre pour justifier ce qui eut lieu. Les morts de 1894 n’avaient pas été la cinquième colonne de la Russie ! Et les déserteurs arméniens ne se seraient jamais enfuis s’ils n’avaient pas été désarmés et maltraités. La vérité est là : les Arméniens qui habitaient loin du front ont été eux aussi exterminés. La vérité est encore là : tous les chrétiens, parce qu’ils appartenaient à des ethnies minoritaires, furent menacés dans l’Empire ottoman à partir de 1915, un million d’Araméens – pour le coup injustement oubliés – ayant été également exterminés. Nous ne rappelons pas ces faits pour entretenir je ne sais quel choc des civilisations entre les religions. Nous les rappelons pour dénoncer encore et toujours le seul ennemi de l’Europe d’aujourd’hui : le poison nationaliste. C’est le nationalisme qui poussa en 1915 le gouvernement turc à procéder à une purification ethnique annonciatrice de bien d’autres tragédies – comment ne pas songer à ce qui s’est produit il y a quelques années dans l’ancienne Yougoslavie ? C’est le nationalisme que nous combattrons toujours, jusque dans ses tentatives de falsification de l’histoire.

La Turquie aspire à nous rejoindre dans l’Union européenne. Il lui faudra pour cela partager nos valeurs. La Turquie ne se libérera de son passé et elle ne pourra se dire des nôtres que lorsqu’elle aura reconnu le génocide. Les manifestants qui ont accompagné dans sa dernière demeure Hrant DINK, les promoteurs de la pétition turque pour demander pardon aux Arméniens, les militants des droits de l’Homme, les intellectuels et universitaires qui cherchent à briser en Turquie la chape de mensonges sont les pionniers de cette libération de la mémoire, qui permettra un jour, j’en suis certain, la réconciliation des deux peuples. C’est là du moins mon espérance.

L’espérance, mesdames et messieurs, c’est aussi la normalisation progressive des relations entre Ankara et Istanbul.
L’espérance, c’est aussi le sentiment que j’éprouve en voyant ce matin de jeunes arméniens venir témoigner de la vitalité de votre communauté. Les survivants du génocide ont essaimé dans le monde et ils furent nombreux à replanter leurs racines dans notre pays. Les Arméniens ont participé à la Résistance. Ils ont contribué à notre richesse, économique, sociale, politique et culturelle. Ils sont devenus Français tout en demeurant Arméniens, nous montrant ce qu’est une intégration réussie. Je le dis à ce propos avec gravité et sans vouloir faire preuve de polémique : l’immigration n’est pas une menace pour notre identité nationale, parce que la France est assez grande, parce que la France est assez forte, pour intégrer ceux qui frappent à sa porte sans rien devoir perdre de son génie républicain. Merci à vous, mes chers amis arméniens, de nous en administrer la démonstration exemplaire tout en contribuant au cosmopolitisme de Grenoble. Vous le savez, c’est parce que vous êtes devenus si facilement des nôtres que votre mémoire est devenue au fil des ans celle de tous les Français, et que nous nous sentons en ce jour du 24 avril en totale sympathie avec votre exigence de vérité.

Vive la mémoire du 24 avril 1915 !
Vivent les droits de l’Homme !
Vive la République et vive la France !