Prix Edwige Elkaïm-Sebban du vivre-ensemble

Juin 12, 2015 | Actualités, Personnalité | 0 commentaires

Edwige_Elkaim

En 2013, aux côtés d’Edwige Elkaïm-Sebban et de mon épouse Marie

C’est avec un grand honneur et une immense fierté que j’ai reçu hier des mains de Yves Ganansia le Prix Edwige Elkaïm-Sebban du vivre-ensemble, à l’occasion du dîner annuel du Crif.

Un an après sa disparition, toutes mes pensées vont à cette grande humaniste, combattante éclairée et résolue du racisme et de l’antisémitisme, que j’ai eu le privilège de compter comme amie.

Je vous propose de retrouver ci-dessous le discours que j’ai prononcé à cette occasion :

« Monsieur le Préfet,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président du CRIF national,

Monsieur le Président du CRIF de Grenoble et du Dauphiné,

Mes chers collègues élus,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Pourquoi et surtout comment le cacher? C’est avec une grande émotion que je reçois ce soir le prix Edwige-Elkaim.

Émotion d’abord parce qu’avec le nom donné à ce prix, c’est un hommage rendu à une amie, à une femme volontaire et courageuse, pour qui nous avions mon épouse et moi beaucoup d’affection.

Dans l’épreuve qui fut la sienne durant les dernières années de sa vie, elle a forcé l’admiration de tous. Jusqu’au bout, présidente du CRIF de Grenoble, elle a œuvré avec enthousiasme et générosité, avec dévouement, avec tolérance et un sens de l’engagement extraordinaire.

Maire de Grenoble, je vivais comme une chance de pouvoir compter sur le précieux concours d’Edwige et du CRIF pour le vivre ensemble et la défense des droits de l’Homme.

Edwige nous a quittés il y aura un an samedi prochain. Et si nous tournons nos regards vers l’avenir, en harmonie avec ce qu’elle nous invitait à faire, ce n’est pas un oubli. Rien n’efface les traces des disparus. Tout nous conduit au contraire à avancer dans leur empreinte.

Nous n’oublierons pas Edwige Elkaim comme nous n’avons pas oublié, non plus, le regretté Louis Blum.

L’émotion, c’est aussi, bien sûr, le rappel de ce qui me vaut le prix que vous avez décidé de me remettre aujourd’hui: en quelque sorte cette longue et belle histoire commune de maire et député de Grenoble avec mes amis du CRIF et de la communauté juive.

Avec le président-fondateur, l’homme avec qui chacun d’entre nous ici a une dette à un titre ou à un autre. Je veux nommer mon ami Georges Lachcar, qui a été mon adjoint à la mairie de Grenoble et qui a présidé la commission municipale sur la spoliation des biens des juifs à la suite de Michel Bénichou.

Avec Jean-Luc Médina, autre ami précieux qui m’a accompagné à Vilnius, à Rehovot, à Jérusalem et à Bethleem, pour porter les messages de paix et de coopération décentralisée de la ville de Grenoble.

Sans oublier ce que nous avons entrepris ensemble dans notre cité, les 60èmes anniversaires de la Libération de Grenoble et de celle des camps, et tant d’échanges, tant de rencontres, tant de belles occasions de valoriser Grenoble au nom des valeurs sacrées de la République, les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui nous forcent à aller vers les autres en cherchant à réduire les inégalités et à s’enrichir de toutes les cultures et de toutes les couleurs du monde.

Histoire partagée avec Edwige Elkaim ensuite, bien sûr, comme je l’ai déjà évoqué.

Et puis aujourd’hui, avec Yves Ganansia, qui poursuit avec bonheur dans la lignée de ses prédécesseurs et à qui je veux manifester ma confiance et mon amitié.

Et puis et puis, je ne saurais oublier de citer Jacques Thiar, mon ami, qui a été aussi mon collègue et qui est aujourd’hui à la tête du CCJ. Il a tant donné pour entretenir la flamme en toutes circonstances.

Émotion enfin, car je vous le dis avec mon cœur, je suis votre ami, comme j’ai essayé de le témoigner durant mes 3 mandats de maire.

Une proximité qui s’est forgée dans mes convictions européennes, sur ce continent tant éprouvé et reconstruit sur les cendres de la Shoah. Une proximité qui s’est renforcée avec mon épouse Marie dont la famille a elle-même tant souffert de cette tragédie du XXème siècle dont l’ombre continue de nous envelopper.

Mesdames, Messieurs, mes amis,

Recevant ce prix pour ce que vous avez cru pouvoir qualifier d’action positive pour votre communauté et pour le vivre ensemble, je veux associer à cette reconnaissance tous ceux qui m’ont accompagné dans cette politique municipale, mes collègues et collaborateurs au cours de tous mes mandats ainsi que les membres du groupe inter-religieux qui mêlait avec sens et cordialité catholiques, protestants, musulmans et juifs.

Recevant ce prix, j’aurais aimé pouvoir affirmer ce soir que cette reconnaissance est en quelque sorte un aboutissement, une fois remportée la victoire contre les préjugés et la haine, en un mot contre l’imbécilité et le malheur. Mais la vérité m’oblige à dire qu’on en est loin et que je prends cela comme une exhortation à poursuivre notre action, mesurant tous les jours qu’il reste tant à faire dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme!

Que dire en effet des menaces qui pèsent aujourd’hui sur vous comme si les Français n’avaient plus le droit d’être juifs?

Des soldats en armes devant les synagogues, devant les maisons de retraite, devant les écoles! Oui, cette protection est nécessaire, mais je le vis comme une honte de ce que nous vivons depuis longtemps et qui est encore cruellement ravivé depuis la tragédie du mois de janvier dernier qui a vu 17 victimes coupables, aux yeux de leurs meurtriers, coupables d’être journalistes, attachés à la liberté d’expression et d’opinion, coupables d’être policiers dans une société qui défend les libertés individuelles et collectives, coupables d’être juifs dans un pays laïc où a été élaborée la charte universelle des droits de l’homme.

Et je le dis comme je le ressens au plus profond de moi-même, il ne servirait à rien de pleurer les morts si nous n’en tirions pas toutes les conséquences.

Car c’est une idéologie implacable, c’est un système porteur de mort qui est en cause.

Nommons les choses, désignons les auteurs. Ce sont les mêmes qui tuent les juifs en France, qui chassent les chrétiens du Proche-Orient, qui vendent les femmes yezidis sur les marchés aux esclaves, qui sont l’horreur absolue de notre temps et de notre humanité. Ce sont les mêmes tenants de l’obscurantisme, les mêmes prédicateurs de la haine, qui tendent un piège mortifère à tous les musulmans. Ce sont les mêmes ennemis de tous les juifs du monde et de tous les pays démocratiques.

La France se perd tout entière dans cette montée du terrorisme et de l’antisémitisme. Car il ne s’agit pas, en effet, seulement des juifs. Il ne s’agit pas seulement de la place des juifs dans la France et dans le monde d’aujourd’hui.

Il s’agit plus fondamentalement de la place de l’homme dans notre société. Et c’est pourquoi les menaces qui pèsent sur votre communauté nous concernent tous, bien au-delà de notre devoir de solidarité envers vous.

Faut-il rappeler ici que les juifs ont été à l’origine d’une bonne part des principes éthiques qui gouvernent aujourd’hui l’humanité?

Faut-il rappeler entre  autres exemples que la déclaration des droits de l’Homme de 1789 reprenait la forme des tables de la loi de Moïse?

Faut-il rappeler que nombre de juifs ont tenu des rôles éminents dans bien des domaines pour faire progresser les arts, les sciences, les innovations de toutes sortes?

Et si vous me permettez cette audace, je dirais que vous avez été, avec d’autres heureusement, mais souvent en première ligne, des résistants, des révolutionnaires luttant pour la libération des êtres humains.

Et quand on n’aime pas la liberté, quand on déteste la démocratie, et bien par voie de conséquence on n’aime pas les juifs. Car ils dérangent !

Mes amis, il y a quelques semaines, nous avons commémoré le centenaire du premier génocide du XXeme siècle, le génocide des Arméniens.

Nous nous y sommes naturellement rencontrés, monsieur le Président du CRIF, autour du Président de la République.

Par quoi avait-il commencé ce 24 avril 1915?

Par l’arrestation des intellectuels arméniens, c’est-à-dire de ceux qui auraient pu sonner le tocsin au moment des premiers massacres.

J’ai un peu le même sentiment aujourd’hui.

Vos ennemis, nos ennemis qui sont ceux de tous les humanistes, voudraient vous voir disparaître parce qu’ils veulent anéantir en fin de compte la civilisation des droits de l’homme, de la raison et du souci de l’autre.

Sachez bien que nous ne nous y trompons pas et que nous sommes à vos côtés. En arrêtant de fermer les yeux sur ces établissements scolaires où l’on ne peut plus enseigner la Shoah sans provoquer d’incident. En poursuivant sans relâche ceux qui se faufilent dans la jungle du Net et appellent au meurtre. En agissant contre ceux qui brandissent des drapeaux de Daech dans les manifestations.

Mesdames, Messieurs, mes amis, dans la République, aucun citoyen n’est condamné à la solitude, sinon ce ne serait déjà plus la République!

Monsieur le Président, cher Yves, avec ce prix, vous avez voulu me donner un signe de reconnaissance pour ma modeste mais, soyez-en sûr, sincère contribution à cette œuvre commune de paix et d’humanité.

Du fond du cœur, laissez-moi vous dire un grand merci. »