70e anniversaire du Centre de Documentation Juive Contemporaine

Mai 24, 2013 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Le 28 avril 1943, à Grenoble, Isaac Schneersohn fondait le Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC), la plus ancienne institution du monde à étudier l’histoire de la Shoah.

Afin de fêter le 70e anniversaire du CDJC, une cérémonie commémorative s’est déroulée hier au 42, rue Bizanet en présence de mes collègues élus Georges Lachcar, Jean-Michel Detroyat, Christine Crifo et Jacques Thiar, de mon amie Edwige Elkaïm, présidente du CRIF Isère, de M. Fredj,  directeur du Memorial de la Shoah, d’Olivier Cogne, directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, et d’une trentaine de Grenoblois. Après ce temps fort, j’ai suivi la visite de Simon Perego, commissaire de l’exposition, « Le CDJC, 1943-2013 : documenter la Shoah » visible dans le hall de l’Hôtel de ville, et ai  prononcé un discours que je vous invite à découvrir.

 

Mesdames et messieurs les Elus,

Madame la présidente du CRIF,

Monsieur le directeur du mémorial de la Shoah,

Mesdames et Messieurs,

« Il est essentiel de mémoriser les monstruosités auxquelles en est venu l’homme au lieu de les refouler car la valeur curative de la mémoire est immense ». Ces mots de François BERADIDA, nous les faisons nôtres. Ils ne sauraient toutefois épuiser le sens du devoir de mémoire. Ce célèbre historien de la Shoah en était lui-même conscient puisqu’il ajoutait qu’au-delà du devoir de mémoire il y a le devoir de connaissance, qu’il définissait comme « la constitution d’un savoir seul apte à construire une mémoire vraie ».

Telle est bien aussi, mesdames et messieurs, l’ambition de la ville de Grenoble en matière de devoir de mémoire, que nous préférons appeler le devoir d’histoire.

Nous sommes bien entendu très attachés à ce que jamais l’oubli des victimes ne devienne leur seconde mort. Parmi les 76000 juifs déportés depuis la France, 1000 le furent depuis notre ville. Rapporté au nombre de juifs qui trouvèrent refuge à un moment ou à un autre en Isère durant l’Occupation – 30 000, nous disent les historiens – ce chiffre aurait pu être infiniment plus dramatique. Il représente cependant 1000 fois la vie d’un innocent qui prit fin à Auschwitz ; c’est la vie d’Anni FINALY, la vie de la petite Etty MOLOH, la vie du jeune Martin SPINDEL, la vie de Léonce BERNHEIM, et celle de tant d’autres femmes, enfants et hommes innocents, dont beaucoup avaient cru trouver en France – la patrie où Dieu lui-même était heureux, leur avait-on dit – un asile contre la folie criminelle du nazisme.

Rien ne pourra bien sûr réparer ce crime. Rien ne pourra jamais faire que ce martyre n’ait pas eu lieu. Depuis 70 ans le monde n’est pas au complet car il lui manque les Juifs assassinés. Et tant que l’une des victimes aurait eu encore l’âge d’être en vie pour nous la Shoah n’appartiendra pas au passé. C’est pourquoi nous nous souvenons. Nous ne le faisons pas seulement pour rendre hommage à tous ceux qui sont morts sans prière ni autre sépulture que le cœur des vivants. Nous le faisons surtout parce que la mémoire est l’ultime dignité humaine conférée à ces victimes que les nazis ne voulaient pas reconnaître comme leurs semblables.

Contre l’effacement des preuves avec la destruction des chambres à gaz et des fours crématoires et contre le négationnisme qui entend prolonger aujourd’hui la Shoah, notre mémoire permet que ces hommes et ces femmes ne soient pas effacées de l’histoire humaine.

Cependant, comme l’écrivait François BERADIDA nous avons aussi un devoir de connaissance. Il aura fallu longtemps pour que la destruction des juifs d’Europe soit véritablement comprise et enseignée. Il aura fallu des années pour qu’elle apparaisse enfin comme l’un des événements majeurs – et sans doute le plus inouï – de la seconde guerre mondiale. Mais elle en est depuis trente ans l’un des symboles, et l’événement sur lequel les historiens se sont le plus penchés.

Eh bien, mesdames et messieurs, ce travail historique, il aura pris naissance dans notre ville et en plein cœur de la Shoah. C’est à Grenoble, au 42 rue Bizanet, que le Centre de Documentation Juive Contemporaine a été fondé le 28 avril 1943 par Isaac SCHNEERSOHN et une quarantaine de représentants des différentes tendances de la communauté juive de l’époque.  Avec le groupe Oneg shabbos du ghetto de Varsovie, il aura été la plus ancienne institution du monde à étudier l’histoire de la Shoah. Et la seule a voir survécu à la fin de la seconde guerre mondiale. En plein cœur de la tourmente, l’objectif d’Isaac SCHEERNSOHN se veut exclusivement historique. Il s’agit d’accumuler les preuves de la persécution des Juifs afin de connaître, comprendre, témoigner et demander justice après la fin de la guerre.

Les documents, les témoignages sont collectés dans l’urgence, il faut aller plus vite que la machine de guerre hitlérienne, qui cherchera bientôt à faire disparaître toute trace du génocide. Le pari sera tenu. Au procès de Nuremberg le CDJC est appelé par l’accusation pour étayer son réquisitoire. Grâce à lui la Shoah ne sera pas absente à l’heure du jugement des principaux chefs nazis.

Ayant fui Grenoble à l’arrivée de la Wehrmacht, le CDJC gagne naturellement Paris à la Libération, où il donne naissance au Mémorial de la Shoah. Mais c’est bien ici, comme le CRIF trois mois plus tard, que le CDJC aura vu le jour. Nous ne l’avons pas oublié. Grenoble est liée par une convention avec le Mémorial. Nous organisons ensemble des voyages de lycéens à Auschwitz. Et si nous inaugurons aujourd’hui en mairie une exposition du CDJC,

je veux rappeler que celui-ci en présente une depuis plusieurs mois sur la spoliation des juifs, dont le commissaire scientifique est Tal BRUTTMANN et qui est très largement inspirée des travaux de notre commission municipale. A Grenoble, ce devoir d’histoire s’inscrit dans nos gènes. La ville des innovations sociales et sociétales, la ville des technologies du futur n’en a que plus conscience de ses racines et du temps long dans lequel nous nous inscrivons. De même que l’innovation qui donne aujourd’hui son essor aux nano-technologies prend en réalité racine dans la révolution de la houille blanche il y a cent trente-cinq ans, la ville des droits de l’homme de 2013 est l’héritière de la journée des Tuiles qui donna naissance à la Révolution française, l’héritière de la ville-refuge des Juifs durant l’Occupation – qui fut appelée pour cela la Petite Palestine -,

l’héritière encore des résistants qui valurent à Grenoble d’être faite ville compagnon de la Libération. Nous ne pourrions pas savoir qui nous sommes, et encore moins décider de ce que nous voulons être, si nous n’avions pas idée d’où nous venons. Jamais pour ma part je ne me résignerai à vivre dans un monde globalisé sous le joug d’une sous-culture mondialisée où toute culture historique aurait disparu. Jamais je n’accepterai de vivre dans un monde sans mémoire où tout pourrait à cause de cela se reproduire – et cette crainte est réelle à l’heure où un vent mauvais souffle sur une Europe en crise se cherchant de nouveaux boucs émissaires, les Musulmans à l’Ouest, les Roms et les juifs dans les pays de l’est.

Nous avons en effet aussi plus que jamais un devoir de vigilance.

Ni la mémoire ni l’histoire ne sauraient pleinement s’accomplir si elles ne nous incitaient pas à agir sur le présent. Nous n’avons pas besoin de commémorations ou de lieux à vocation purement muséographique. La Ville de Grenoble – pas plus, je le sais, que le mémorial de la Shoah – ne saurait s’en satisfaire. Le rappel de la destruction des juifs d’Europe il y a 70 ans n’a de sens que si nous combattons, pied à pied, la résurgence de l’antisémitisme. Celui-ci présente aujourd’hui un nouveau visage. Il ne reproche plus aux juifs d’être monothéistes, déicides, révolutionnaires ou capitalistes, non il les accuse désormais d’être sionistes. Et il le fait de surcroît en amalgamant en même temps tous les poncifs possibles même lorsqu’ils se contredisent.

Il se nourrit plus que jamais des préjugés de l’ignorance, de la jalousie et de la haine, et pire que tout de l’amertume de certaines personnes qui se vivent en situation d’échec et ne le supportent qu’en méprisant les juifs. Cet antisémitisme gangrène les esprits fragiles, il rend difficile la vie des juifs dans certains quartiers (ayons le courage de l’admettre), il porte atteinte au vivre ensemble. C’est cet antisémitisme-là qui a conduit à la tragédie de Toulouse en mars 2012. Et c’est encore lui qui explique depuis l’augmentation des agressions verbales et des violences contre les juifs.

Cet antisémitisme, nous devons le combattre avec fermeté. D’abord parce que les Français ont le droit d’être juifs. Mais aussi parce que nous devons venir en aide dans nos quartiers à la très grande majorité de nos concitoyens attachés au vivre ensemble et aux valeurs de la république.

Nier l’existence d’un antisémitisme islamiste, ce serait condamner des millions d’habitants de nos quartiers à subir des amalgames qui n’ont pas lieu d’être parce qu »ils vivent leur religion dans la paix et dans la tolérance et ce serait ainsi refuser de leur venir en aide pour faire société commune avec tous.

Enfin, et même si mon propos pourra surprendre, je suis de ceux qui pensent qu’il faut éradiquer l’antisémitisme dans l’intérêt même des esprits sans repère qui en sont menacés. L’antisémitisme alimente des délires complotistes qui interdisent à leurs auteurs de comprendre le monde. Il aliène les antisémites. Il les retranche de la société. Voilà également pourquoi il nous faut l’éradiquer. L’éducation a son rôle à tenir naturellement. Les initiatives pour le vivre ensemble aussi.

C’est ce que fait la Ville de Grenoble avec le groupe inter-religieux, l’accueil chaque année du bus de l’amitié judéo-musulman, le travail avec les associations au service de toutes les communautés et de tous les Grenoblois.

Enfin, l’exigence à laquelle nous obligent le souvenir de la Shoah et celui de la création du CDJC dans notre ville, c’est d’être attentifs à tout ce qui porte atteinte aux droits de l’homme sur notre planète. Je me réjouis que le  mémorial y soit également très attaché puisqu’il a été en France l’institution dénonçant avec le plus de force le drame du Darfour entre autres exemples. A Grenoble, nous avons été solidaires de la Bosnie-Herzégovine durant le conflit qui l’a ensanglanté comme dans l’après-guerre – je crois bien que nous avons du être la seule collectivité à célébrer le dixième anniversaire de la chute de Srebrenica. Nous avons le regard tourné vers le monde, nous concilions notre vocation internationale avec notre identité de ville des droits de l’homme.

La création du CDJC il y a 70 ans dans notre ville aura été un moment important de cette longue histoire grenobloise dont nous sommes fiers. C’est pourquoi je suis heureux de commémorer avec vous cet événement et je souhaite  une fructueuse coopération de Mémorial avec notre collectivité dans les années qui viennent.

Vive la mémoire !

Vivent les droits de l’homme !

Vive Grenoble, notre ville compagnon de la Libération !

Vive la France qui est notre patrie !

Et vive l’Europe, qui est notre avenir pour prévenir à tout jamais les crimes et les guerres sur notre continent !