Un des plus grands sculpteurs contemporains au monde n’est plus.
Alain Kirili s’est éteint, en artiste apaisé, au milieu de ses œuvres, dans son atelier de Tribeca à Manhattan.
Nous avons suivi avec admiration son courage exceptionnel dans le combat qu’il a mené des années durant contre la maladie, repoussant l’étape ultime au-delà des pronostics les plus optimistes. Et nous savons, bien sûr, que tout cela n’aurait pu arriver sans la présence de tous les instants, sans l’accompagnement intelligent et plein d’amour d’Ariane Lopez-Huici.
Avec Marie, Marilia, Damien et Roman, nous adorions Alain, son talent et sa passion d’artiste créatif, son engagement politique des deux côtés de l’Atlantique, et par dessus tout son immense sens du partage en amitié.
Que de souvenirs ensemble!
Je dois à Serge Lemoine, alors directeur du musée de Grenoble, notre première rencontre. C’était à l’occasion d’une impressionnante exposition sur le plan d’eau intérieur du musée, événement qui connut un grand succès. Et depuis, nous ne nous sommes plus quittés…
Comment oublier, à Grenoble déjà, entre autres moments forts, l’installation « Résistance » de ses sculptures en blocs de pierre de Bourgogne dans le Parc Paul-Mistral, dans une mise en scène architecturale d’Alexandre Chemetoff?
Le catalogue de l’exposition avait été réalisé suite à des rencontres, très importantes pour Alain, avec Mimi Mingat et Arielle Giffard, deux grandes figures de la résistance grenobloise, rendant plus vraie encore l’expression d’Alain pour qui « la création est un acte de résistance ».
Son inauguration, avec une superbe chorégraphie de Jean-Claude Gallotta restera un temps artistique intense, le massif du Vercors en arrière-plan. Lionel Jospin et Catherine Tasca avaient fait le voyage, ainsi qu’Aubert de Villaine, figure de proue du vin de Bourgogne, avec Pamela, tout juste arrivés de leur domaine de la Romanée-Conti.
Alain avait fait aussi une donation à la Ville de Grenoble d’un ensemble sculptural, dénommé Résistance, qui devait être installé sur une place de l’avenue des Martyrs, alors en cours de réalisation, en regard du monument dédié justement à la Résistance. La mise en œuvre de cet engagement municipal n’a malheureusement pas été respectée par l’actuelle municipalité, ce qui nous avait profondément heurtés, Alain et moi, car tellement contraire à nos valeurs.
Et puis, il y a eu Paris, nos rencontres dans ses bistrots improbables ou chez Ariane et Alain autour d’une bouteille généralement de légende.
Comme avec Bertrand Delanoë, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, autour d’une nouvelle superbe création « Rythmes d’automne ».
Ou au musée de l’Orangerie, « Kirili et les Nymphéas » en dialogue avec les œuvres de Claude Monet.
A deux pas de l’installation « Le Grand Commandement blanc » dans le jardin des Tuileries, où Alain avait œuvré à une exceptionnelle sélection sculpturale moderne et contemporaine du XXème siècle, répondant à son souci permanent de rendre la sculpture, dans sa plus grande et belle diversité, visible et accessible de tous et de toutes les générations.
Je ne veux pas oublier non plus nos escapades communes, scellant entre nos couples une amitié pour toujours, à la Colombe d’Or à St Paul-de-Vence pour un anniversaire mémorable, ou à Cogne au pied du Grand Paradis!
Entre Paris et New-York, s’est noué le destin d’une vie dans la confrontation stimulante pour la création. Ce fut aussi pour ma famille l’occasion de rencontres plus fréquentes et plus impliquées encore sur le plan artistique. Alain et Ariane accueillirent généreusement à Manhattan ma fille Marilia et Damien, qui débutaient leurs carrières dans la photographie et le cinéma, Marilia devenant un moment l’assistante d’Alain et Ariane.
Que de découvertes d’artistes amis et de performances dans les musées et les galeries!
L’atelier d’Alain était devenu le lieu incontournable où sculpture, musique et danse fusionnaient dans un mouvement quasi-sacré. Dans ce loft un peu magique, nous nous retrouvions, heureux de communier dans une même émotion artistique, où l’amour du beau nous portait vers l’autre. Passionnés de jazz, nous nous abandonnions aux vibrations de tous ses amis venus jouer autour de ses sculptures. Au delà d’Archie Shepp et Cecil Taylor, ses premières rencontres, il nous a été donné de comprendre mieux encore, selon sa belle expression, qu’il importait de « rendre à la culture noire américaine tout ce qu’elle a fait pour l’art de ce dernier siècle ». Avec William Parker, Joe Mc Phee, Michael Attias, les plus proches; avec Ned Rothenberg, le dernier venu à l’atelier pour un concert « roulette » filmé ce printemps, et où l’on voit Alain dessiner ses dernières calligraphies sculpturales.
Avec la danseuse Maria Mitchell, la chanteuse Leena Conquest, et combien d’autres…
Comme je le glissais à Ariane avec laquelle nous poursuivrons, dans l’affection, cette aventure hors norme, Alain demeurera à jamais pour moi cette belle personne, à l’immense talent artistique, toujours en mouvement, mû par une énergie et une générosité hors du commun. Il fallait le suivre en vélo dans Chinatown ou dans ses envolées passionnées en politique comme en culture, où se bousculaient le français et l’anglais, les références historiques et l’expression de ses fulgurances.
J’ai appris à connaître et à aimer Eugène Dodeigne, Germaine Richier, Louise Bourgeois, Daniel Dezeuze, François Morellet, Pierrette Bloch, l’immense Pierre Soulages, et d’autres encore.
Mais j’ai connu et aimé Alain aux premiers échanges, percevant au-delà de ses œuvres, ses qualités humaines et son engagement politique pour le monde entier. Jamais tiède, toujours là. Avec ses cris du cœur, ses colères et ses joies.
Il aurait pu prononcer ces mots de Pablo Picasso: «l’art est là pour laver l’âme de la poussière du quotidien. Il s’agit de réveiller des passions, car la passion est ce dont nous avons le plus besoin, pour nous et la jeune génération ».
Diner à l’historique restaurant Keens, New York.
Installation « water +letters » au Musée de Grenoble, 1999