Tribune : « Innover ou dépérir : la France doit choisir »

Mar 5, 2012 | Actualités, Dans les médias, Innovation | 0 commentaires

Pour toutes les entreprises ou organisations de notre pays soumises à la concurrence internationale, la maxime « innover ou dépérir » est une réalité. Voici donc un sujet majeur pour la France : réviser et reconfigurer notre système d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, qui dérive du mot latin innovatio. L’innovateur est donc celui qui renouvelle en permanence.

Notre conviction première est que ce triptyque est au fondement de la croissance de demain et qu’il faut considérer comme un tout ce triangle de la connaissance.

Notre deuxième conviction : l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation doivent de plus s’inscrire dans les territoires, avec les collectivités locales et en lien avec les acteurs économiques.

Notre troisième conviction : l’interdisciplinarité provoque les innovations de rupture. Le croisement des acteurs et des disciplines (sciences dures et sciences humaines[1]) est à l’origine des avancées de la recherche scientifique et des progrès de l’innovation. Grenoble, dont je suis le Maire, a une longue tradition de promotion de la connaissance dans les domaines de pointe, depuis la houille blanche aux énergies renouvelables, en passant par la microélectronique et les biotechnologies. Il s’agit d’un renouvellement constant qui a commencé il y a plus de 150 ans avec la papeterie, le textile et la chimie.

L’innovation, définie comme la rencontre entre une idée et un marché, a été ici permanente parce que la recherche était de grande qualité, l’enseignement supérieur de premier plan et que le triptyque « Université/Recherche/Industrie » fonctionne parfaitement. Plus de 60 000 étudiants, quelques 120 laboratoires de recherche et plus de 20 000 chercheurs font de notre territoire un des plus dynamiques[2] dans ce domaine. La région de Grenoble étant parfois surnommée la « Silicon Valley française ». C’est fort de cette expérience que je souhaite contribuer à la réflexion sur le sujet.

Faisons d’abord justice à nos chercheurs humiliés par le discours de l’actuel Président de la République du 22 janvier 2009. Nous pensons que notre recherche reste une des plus brillantes au monde. Mais il y a des dysfonctionnements systémiques qui, s’ils ne sont pas corrigés, mettraient en péril la place de la France dans la mondialisation : un système éclaté entre Grandes écoles et Universités, d’une part, et une insuffisante relation entre organismes de recherche et Universités, d’autre part ; une structuration institutionnelle d’une rare complexité du fait de l’empilement inconsidéré des diverses structures et entités ; un système d’enseignement de plus en plus reproducteur d’inégalités sociales, économiques et culturelles.

Les réformes récentes n’ont pas toujours été à la hauteur : l’autonomie – version de droite – a déséquilibré la gouvernance des Universités et n’a pas accompagné l’octroi de nouvelles compétences par les moyens adéquats. Le grand emprunt permet de développer les investissements d’avenir, mais il risque de favoriser une perte d’initiatives sur tout le territoire.

C’est pour lever les barrières qui empêchent notre pays d’exprimer son immense potentiel d’innovation et de croissance que je formule six propositions[3], dont certaines sont déjà portées par François Hollande. Les autres vont résolument dans le sens qu’il a tracé.

1. Faire de la lutte contre ce qu’il convient d’appeler « l’échec à l’Université[4] » une grande priorité nationale, en traçant un continuum entre le lycée et l’Université (comme le suggère Vincent Peillon), en renouvelant la pédagogie en Licence, en redonnant une véritable place à la formation des enseignants, en mettant en place un service d’orientation permettant un suivi personnalisé des étudiants en difficulté, dès la première année. Les filières courtes et professionnelles seront développées et valorisées, et l’accès pour les bacheliers professionnels et technologiques à ces filières sera favorisé. Le soutien aux jeunes chercheurs sera assuré par la création d’un contrat en entreprise ou dans un laboratoire de recherche pour l’insertion des jeunes docteurs dans l’emploi. Nous proposons de créer 2 000 emplois par an sur le prochain quinquennat au titre des 150 000 emplois d’avenir proposés par François Hollande ;

2. Remettre à plat les aides financières aux étudiants pour mettre en place une allocation d’études et de formation sur conditions de ressources, permettant aux moins favorisés de pouvoir mener leurs études, sans devoir travailler. L’accès au logement doit être facilité, notamment par un plan massif de construction de 40 000 logements et de réhabilitation de 50 000 logements étudiants. Notre politique d’enseignement supérieur doit avoir pour ambition d’améliorer les conditions de vie des étudiants ;

3. Elaborer une nouvelle stratégie nationale et régionale de la recherche. Des « Assises régionales (puis nationale) de la recherche », en concertation avec la communauté scientifique et économique, permettraient de proposer une vision prospective sur la base d’une analyse des forces et faiblesses de notre système de recherche et d’innovation. Cette démarche vise à fonder le continuum enseignement supérieur, recherche, innovation, industrie et développement des entreprises de tailles intermédiaires (ETI) ;

4. Garantir sur la durée et mieux répartir les dotations à la fois pour les Universités françaises et les projets d’avenir. Il est nécessaire, du fait de la multiplicité des canaux de financements, de veiller à la pérennité des ressources en évitant des déséquilibres excessifs et injustifiés entre établissements. Le transfert de propriété du patrimoine immobilier – ancien – des Universités suppose, de la part de l’Etat, une clarification plus précise dans le financement de la fonction immobilière. Les Universités doivent également maîtriser les autres compétences de gestion (finances, achats et logistique) ;

5. Positionner l’Etat en stratège à travers la création d’un Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et de l’industrie (MESRII). Il correspond à un besoin dans une société de l’économie de la connaissance qui doit innover en permanence pour être compétitive. Il devra poursuivre le rapprochement entre universités, centres de recherche et grandes écoles et soutenir la dynamique des organismes de recherche par des synergies au niveau territorial[5] avec les pôles de compétitivité et les instituts Carnot ;

6. Appuyer une stratégie européenne en matière de recherche et d’innovation notamment en concentrant une partie du programme cadre de l’Union européenne et des fonds structurels vers les ETI et les PME innovantes. Il s’agit également de faire émerger des jeunes équipes de recherche. Les dispositifs d’aide et d’incitation à l’innovation seront rééquilibrés en faveur des ETI et des PME.

Il est nécessaire de mobiliser la capacité créatrice de nos forces de recherche, favoriser l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes de tous les milieux sociaux, promouvoir l’innovation avec tous les acteurs économiques : il y va de l’avenir de notre pays.

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[1] L’informatique et les sciences cognitives, par exemple. Les biotechnologies résultent du rapprochement entre la biologie et l’informatique…
[2] A ce jour, plus de 380 accords de coopérations existent avec des universités étrangères et 28 programmes internationaux sont proposés. Environ 160 nationalités différentes se retrouvent chaque année sur les bancs des universités grenobloises.
[3] Cette tribune prépare le débat Inventer à gauche sur l’enseignement supérieur et la recherche du mardi 20 mars prochain à 19h avec Vincent Peillon. Consultez une version longue, qui met en avant dix propositions.
[4] Au bout d’un an, environ 25 % des étudiants quittent l’université sans diplômes, tandis que 10 % choisissent une autre discipline. Seulement 65 % des étudiants poursuivent dans la même discipline (mais ils ne sont que 55 % en sciences humaines et sociales).
[5] Avec la ville de Grenoble, nous nous sommes engagés dans des accords de jumelage avec Phoenix (Etats-Unis), Oxford (Royaume-Uni), Rehovot (Israël), villes qui ont une stratégie de développement fondée sur l’innovation.