Mon rapport sur la Chine adopté à l’unanimité par la CAE

Déc 12, 2013 | Actualités, International | 0 commentaires

Lors du déplacement à Pékin pour la mission Chine de la CAE de l’Assemblée nationale.

Après un an de travail, une quarantaine d’auditions, des déplacements à Bruxelles, Aubervilliers et en Chine dans les villes de Pékin, Chengdu, Shanghai et Suzhou, j’ai exposé, mon rapport d’information sur la Chine à la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la semaine dernière. Rapport adopté à l’unanimité. Hier soir, en présence du président de la mission d’information sur la Chine, Patrice Martin-Lalande, et en ma qualité de rapporteur, j’ai présenté les grandes lignes de ce rapport à la presse. Je vous invite à prendre connaissance de l’introduction de ce rapport de 200 pages.

La Chine. Une extraordinaire civilisation multimillénaire, un foyer de cultures et de savoirs, un espace immense, une terre de contrastes, un géant démographique, une énergie bouillonnante, une émergence fulgurante, révélée au grand public avec éclat par les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, la deuxième puissance économique mondiale et un acteur majeur de la communauté internationale.

La Chine donc. Certains pourront arguer que le sujet choisi par la Commission des Affaires étrangères est colossal. Et ils auront raison. D’autres pourront souligner a contrario qu’il était grand temps que l’on s’y penche. Et ils auront raison également. D’une certaine façon, l’importance de la Chine apparaît aujourd’hui comme une telle évidence qu’il n’y aurait plus rien à en dire, qu’un rapport parlementaire n’apporterait aucune plus-value à l’immense masse de travaux consacrés à ce pays omniprésent.

Ce n’est pas l’avis de la commission des Affaires étrangères qui a souhaité créer cette Mission d’information à l’orée d’un moment très particulier : le cinquantenaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle, qui sera célébré dès le 27 janvier 2014 à Pékin. Nous ne prenons pas la mesure de cet évènement, car nous ne nous souvenons plus de ce qu’était la Chine à cette époque et de l’impact qu’avait sa reconnaissance par la France, premier pays occidental à prendre cette décision. Dans ce pays où le temps revêt une importance fondamentale, la durée de cinquante ans a une symbolique forte et nous place devant une obligation particulière : celle de nous interroger sur la manière dont nous devons bâtir notre relation pour les cinquante prochaines années. Or, cet anniversaire intervient à un moment-clé pour nos deux pays.

Pour la Chine d’abord, l’heure est à la définition et la mise en œuvre d’une transition de son modèle économique, aussi complexe que délicate. Après des années de transformations incroyables, de mue économique et sociale qui fait d’elle un acteur central dans un monde multipolaire, la Chine présente un nouveau visage. Les ressorts de sa croissance doivent être adaptés, alors même que certaines externalités négatives générées par un boom inédit deviennent paroxystiques, notamment en matière d’inégalités et d’environnement.

Pour la France ensuite, comme l’une des personnes auditionnées l’a formulé, il est temps d’accepter que « la mondialisation n’est pas une expérimentation ». Ce changement est certes brutal pour les pays au modèle de société déjà ancien comme le nôtre, mais l’on peut tirer partie de ce nouveau paradigme, car nous disposons d’atouts, trop souvent sous-estimés dans le déclinisme ambiant, d’une qualité de vie aussi à valoriser. La crise économique nous oblige à franchir ce pas et une impulsion a été donnée avec l’accent mis sur la diplomatie économique par le ministre des Affaires étrangères. Comment douter que la Chine doit en être une priorité ?

Pendant une année entière, la Mission d’information a conduit plus d’une trentaine d’auditions à Paris, auxquelles s’ajoutent celles organisées par la commission des Affaires étrangères sur ce thème (2). Elle s’est rendue à Bruxelles, à Aubervilliers et une délégation a effectué un déplacement en Chine en septembre 2013, dans les villes de Pékin, Chengdu, Shanghai et Suzhou. Les membres de la Mission tiennent à remercier chaleureusement l’ensemble des personnes qu’ils ont rencontrées, pour leur disponibilité, la densité des informations communiquées, la richesse de leurs analyses et aussi leur liberté de ton, qui ont façonné la réflexion, aidé à reconstituer une image plus fidèle de la Chine et permis de retenir plusieurs orientations. Ils remercient ainsi particulièrement Madame l’Ambassadeure de France en Chine, Sylvie Berman, et ses collaborateurs, pour l’accueil qui a été fait à la délégation ainsi que la pertinence et la diversité du programme qui a été construit.

Bien d’autres personnes compétentes auraient pu être entendues. Qu’elles excusent la Mission d’avoir dû opérer une sélection aussi restreinte, au regard des délais impartis pour explorer un champ d’études aussi vaste. Ce rapport n’a en effet pas pour objet de traiter de manière approfondie l’ensemble des problématiques, encore moins de faire la synthèse de l’abondante littérature sur la Chine, même s’il présente bien évidemment les grands enjeux actuels. Il a pour ambition de poser la question de la place et du rôle de la France face à l’affirmation de la Chine, premier des émergents ou premier des émergents émergé, peu importe le vocable, avec lequel il existe une relation singulière et dense, mais par trop brouillonne. C’est à l’aulne de cette interrogation que la Mission a travaillé, avec le souci d’une approche constructive.

La Chine, pour conduire le changement, a pour elle une faculté d’adaptation incroyable, une facilité culturelle à gérer les contraires. Elle n’a pas connu une mutation permanente linéaire, mais des soubresauts, des ruptures, des révolutions et elle en conserve toute la mémoire. Il faut donc observer la Chine à la lumière de sa longue histoire. La réussite chinoise actuelle résulte d’un choix politique majeur : celui de conduire la transformation sociale par l’ouverture économique graduelle du pays, encore en cours. Elle résulte aussi de la capacité de l’État chinois, centralisé et planificateur, à définir des objectifs intermédiaires et à les atteindre à chaque fois, en somme à maîtriser le temps.

Cette efficacité démontrée laisse penser – c’est l’avis des membres de la Mission – que la Chine parviendra à gérer les déséquilibres actuels et à poursuivre son développement, même si la question de l’avenir du régime politique peut être posée à plus ou moins long terme. La nouvelle équipe arrivée au pouvoir le 15 novembre 2012 à la suite du XVIIIème Congrès du Parti communiste chinois, dont le Président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang (3), a pris la mesure des fragilités du modèle économique chinois et des nombreux défis à relever pour disposer de fondamentaux solidifiés et assurer une redistribution efficace. Elle tente notamment d’orchestrer la transformation du modèle vers une croissance plus qualitative et fondée sur la consommation intérieure, en tenant compte dans le rythme et l’ampleur d’une multitude de paramètres, à commencer par celui de conduire des réformes pour 1,35 milliard de personnes. La méthode est pragmatique, dans la lignée de la célèbre phrase de Deng Xiaoping : « Traverser la rivière en tâtonnant de pierre en pierre ». La croissance demeure à un niveau élevé, avec des gisements encore importants à exploiter dans les dix prochaines années. La Chine développant une politique étrangère en fonction d’abord de son développement intérieur, sa présence s’intensifie et se diversifie continuellement sous l’effet de ces changements.

La France peut et doit démontrer qu’elle sait également s’adapter, inscrire cette période dans un mouvement de long terme qui est son histoire et, ce faisant qu’elle est, non seulement consciente des transformations du monde, mais aussi qu’elle se projette dans l’avenir avec énergie et conviction. À cet égard, le partenariat franco-chinois n’est pas une construction réactionnaire ; il ne s’agit pas de faire de nécessité vertu. Le partenariat franco-chinois est un acte politique réitéré, renvoyant à des regards croisés anciens, un terreau fertile exprimant les liens qui se sont forgés dans l’histoire et qui s’enrichissent du présent. Les évolutions actuelles de la Chine, sur le plan intérieur comme sur la scène internationale, sont en outre propices au renforcement des relations bilatérales dans tous les domaines. C’est un heureux moment qui appelle une grande lucidité pour le saisir.

La France est aux yeux de la Chine une puissance majeure au plan mondial et un partenaire historique, mais elle apparaît trop faible sur le plan économique et insuffisamment organisée. Même sur le plan du partenariat politique, bien que la crise de 2008 soit passée, celle-ci a incontestablement laissé des traces. La France serait devenue un interlocuteur moins fiable, alors que notre pays jouissait d’une côte d’amour héritée de la politique d’amitié engagée par le général de Gaulle. Cette réalité de la faiblesse française ne doit pas conduire à faire profil bas à l’égard de la Chine (ni arrogance, ni servilité !), mais à reformuler une relation équilibrée, qui évacue les malentendus, promeuve le dialogue sur tous les sujets et assure le respect mutuel dans l’intérêt bien compris de chacun de nos deux pays.

Dans cette optique, il faut conceptualiser nos intérêts, définir les objectifs et les moyens qui leur correspondent et procéder à une mise en ordre de notre politique et de nos outils. Il faut en somme formuler une politique étrangère proactive, rationnelle, qui engage une dynamique volontariste et efficace. C’est particulièrement vrai sur le plan économique, pour lequel il faut disposer de filières organisées, d’entreprises sélectionnées, bien accompagnées en amont et en aval, de solutions intégrées pertinentes pour la Chine. Pour renouveler une relation à un niveau qui est celui qu’elle mérite, c’est à dire exceptionnel, notre pays doit mettre en valeur ses talents, ses réussites, son modèle.

Cette perspective suppose, en France même, de déconstruire certaines idées reçues sur les effets négatifs pour notre pays du développement de ses relations avec la Chine, de réveiller au contraire l’intérêt et la bienveillance. Elle suppose aussi – et ce n’est pas sans lien – de faire valoir en Chine une meilleure image de notre pays, une image plus complète et plus nette, qui sous-tende l’approfondissement de relations privilégiées, exigeantes mais constructives, au plus haut niveau de l’État mais aussi entre nos deux sociétés. Les échanges humains feront la profondeur du partenariat et il convient donc de porter une attention particulière aux individus et aux collectivités qui composent la société chinoise. Dans cet esprit d’ouverture réciproque, nul doute que la France et la Chine bâtiront un avenir ensemble.