Présentation de mon rapport sur la convention fiscale entre la France et la Chine

Nov 13, 2014 | Actualités, International | 0 commentaires

Je présentais mercredi devant la Commission des affaires étrangères, le rapport sur la convention fiscale entre la France et la Chine, en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu. Retrouvez ci-dessous mon intervention :

 

 

« Madame la Présidente,

Mes chers collègues,

Le projet de loi qui nous est soumis tend à ratifier l’accord signé avec la Chine le 26 novembre 2013 à Pékin, qui se substituera à la convention fiscale franco-chinoise du 30 mai 1984. Comme la convention de 1984, il ne s’appliquera  pas à  Hong Kong et Taïwan, avec lesquels la France dispose d’instruments bilatéraux récents, ni Macao. Cette renégociation a été engagée à la demande de la partie française. Celle-ci a obtenu satisfaction sur de très nombreuses demandes d’évolution, de l’utilisation du dernier modèle de convention de l’OCDE aux modalités de partage de l’imposition en passant par la préservation des intérêts du Trésor.

L’accord a été signé à l’occasion de la première séance du dialogue économique et financier de haut niveau, dont la mise en place a été décidée lors de la visite d’Etat du président Hollande en Chine en avril 2013 et qui est conduit par le ministre français de l’Économie et des Finances et le vice-Premier ministre chinois en charge de ces questions, M. Ma Kai. Il est important de le souligner car ce dialogue, dont la deuxième session s’est tenue en septembre 2014, a été institué lors d la visite d’Etat du président Hollande en Chine en avril 2013 et manifeste la volonté forte de rééquilibrer par le haut la relation économique franco-chinoise.

L’influence française au plan économique demeure en effet insatisfaisante, alors même que nous disposons de nombreux atouts, se traduisant par un déficit commercial massif (26 milliards d’euros), le premier de notre pays. Les exportations françaises vers la Chine ont diminué à 14,7 milliards d’euros en 2013 (aéronautique pour un quart). La France est seulement le 19e fournisseur de la Chine, mais le deuxième fournisseur européen. La part de marché de la France est modeste : 1,33 %, lorsque celle de l’Allemagne dépasse les 5 %.

On recense quelques 1500 entreprises françaises présentes en Chine avec 2500 implantations qui génèrent un chiffre d’affaires annuel de près de 65 milliards d’euros et emploient environ 550 000 personnes. Selon les chiffres de la Banque de France, les flux d’investissement français en Chine se sont repliés à 1 milliard en 2013. Les IDE en stock représentaient en 2013, 17,9 milliards d’euros contre 3.1 milliards en 2005. Le secteur manufacturier chinois représente encore 46,3 % du stock d’investissement. Les investissements français, tendent aujourd’hui à se diversifier en direction des villes du centre et de l’ouest comme Chengdu et Wuhan.

La mission d’information sur la Chine de la Commission, dont j’étais rapporteur, comporte de longs développements sur la situation économique de la Chine ainsi, que sur les faiblesses et les opportunités de la présence économique française en Chine. Je ne vais pas en faire le résumé ici. Quelques éléments méritent néanmoins d’être rappelés pour comprendre l’importance qu’il y a à disposer d’un cadre pertinent en matière fiscale.

La Chine, première puissance commerciale, devrait représenter dans les années à venir environ 20 % des importations mondiales, soit un fort potentiel macroéconomique. En outre, les besoins futurs de l’économie chinoise correspondront probablement davantage à ce que la France peut offrir à l’exportation en s’appuyant sur l’augmentation de la consommation intérieure. Le besoin d’une croissance qualitative offre également de belles perspectives (technologies vertes, efficacité énergétique, sécurité des processus, sécurité alimentaire et sanitaires etc.). Dans tous ces domaines, les échanges et investissements croisés sont appelés à s’intensifier.

La présence en Chine des entreprises françaises n’est pas seulement motivée par la compétitvité-coût, d’ailleurs de plus en plus faible, mais par des caractéristiques locales du marché et des caractéristiques globales. Le marché chinois est dans de nombreux domaines le premier marché du monde (11,5 % de part de marché mondiale). C’est donc un marché essentiel en termes de débouchés, pour exporter mais aussi s’implanter. Les entreprises recherchent l’acquisition de parts du marché, les effets d’échelle et, sur les segments technologiques, un positionnement à visée mondiale.

Il convient néanmoins de ne pas sous-estimer les difficultés que peuvent rencontrer les projets d’exportation ou d’investissement en Chine. L’accompagnement intelligent de nos entreprises est une nécessité et la levée des frictions fiscales en fait partie. Ensuite, une part des revenus tirés des activités de vente ou de services en Chine remontent en France sous la forme de redevances ou de dividendes notamment. Ces sommes bénéficient au groupe (maison-mère) et aux activités de recherche et développement qui restent souvent réalisés en amont, ce qui contribue à la richesse nationale. Le traitement fiscal de ces revenus n’est donc pas anodin.

En outre, depuis 2008, les investisseurs étrangers ne bénéficient plus d’un statut fiscal très privilégié. Même si la fiscalité demeure assez favorable, avec un taux d’impôt sur les sociétés de 25 % et de très nombreux régimes préférentiels, le besoin se fait sentir de clarifier et améliorer les règles bilatérales fiscales. Cette demande est devenue d’autant plus forte que les marges des entreprises sur leurs activités en Chine, pays ultra-concurrentiel, sont relativement faibles.

Dans ce contexte, la nouvelle convention fiscale franco-chinoise permet de mieux sécuriser les activités conduites par les entreprises d’un Etat sur le territoire de l’autre et réduit les impositions à la source. D’une manière générale, la répartition des droits d’imposer est modifiée en faveur de l’État de la résidence, ce qui constituera une simplification pour les entreprises. C’est par exemple le cas, sauf exceptions listées,  des plus-values en lieu et place du principe de la source dans la convention de 1984.

La France a obtenu des modifications relatives à la qualification de l’établissement sable, qui est durcie et sécurisée. Les États ou territoires en développement ou émergents souhaitent en effet pouvoir retirer des recettes des investissements étrangers le plus tôt possible et le plus systématiquement possible. Sera désormais considéré comme un établissement stable, sur le modèle OCDE un chantier dont la durée dépasse douze mois (contre six dans l’accord de 1984). La règle des 183 jours pour les prestations de services permet quant à elle de disposer d’une rédaction plus claire.

Surtout, une mesure était particulièrement attendue par les entreprises françaises : la diminution du taux de retenue à la source sur les dividendes qui passera, dans la majorité des cas, de 10 % à 5 %. Le taux est fixé à 5 % maximum du montant brut des dividendes lorsque le bénéficiaire effectif est une société qui détient directement au moins 25 % du capital de la société qui verse les dividendes.

Enfin, cette convention concerne aussi les personnes physiques, sachant que 31 275 Français sont inscrits au registre et qu’au 30 septembre 2014 on estime à plus de 46 000 les ressortissants français qui résideraient en Chine. Le principe d’imposition dans l’Etat de la source des rémunérations des agents publics est étendu au personnel des établissements d’enseignement à but non lucratif d’un Etat. Cette stipulation s’appliquera au corps enseignant du lycée français de Pékin. L’exonération applicable aux étudiants, apprentis, personnes en formation en entreprise dans l’autre Etat est étendue aux stagiaires, ce devrait mieux sécuriser la situation des volontaires internationaux en entreprise (VIE).

Pour toutes ces raisons, l’actualisation de la convention fiscale est bienvenue pour les personnes physiques et morales françaises. Pour l’Etat français, la nouvelle convention présente le grand avantage d’intégrer de nombreuses dispositions préservant la capacité d’imposer et d’adapter diverses clauses à des situations particulières de notre droit.

Tout d’abord des clauses anti-abus sont insérées dans les articles relatifs à certains revenus, ainsi qu’une clause de portée générale. La France systématise ces dispositions qui excluent l’application des avantages lorsque la conduite des opérations a pour objectif principal de les obtenir. Une autre clause figurant dans plusieurs articles prévoit que, lorsque les intérêts, redevances ou revenus excédent le montant de ce qui résulterait de l’application du principe de pleine concurrence, seule la fraction non excédentaire bénéficie des dispositions de la convention. Dans le même esprit, le bénéfice des avantages conventionnels en matière de dividendes et d’intérêts aux véhicules d’investissement mobilier établis dans l’un des Etats et non soumis à l’impôt sont conditionnés au fait que les résidents dans l’autre Etat soient les bénéficiaires effectifs de ces revenus et soient soumis à l’impôt sur ces revenus.

Par ailleurs, conformément à la pratique française, la portée des obligations de non-discrimination à raison de la nationalité est limitée aux personnes physiques, ce qui permet de préserver notre législation prévoyant un traitement différencié entre les entreprises résidentes de France et les établissements stables d’entreprises étrangères sur le territoire français.

La définition donnée des dividendes est élargie aux revenus réputés distribués. Cet élargissement permettra à la France d’appliquer la retenue à la source à ces revenus, par exemple dans le cadre des redressements de prix de transfert.

Concernant la prise en compte des spécificités de la législation française :

– une clause est introduite pour clarifier les différents cas de figure pouvant survenir dans le traitement des sociétés de personnes françaises et groupements assimilés, selon qu’ils sont considérés comme opaques ou transparents par l’une ou l’autre des deux parties ;

–les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) d’un Etat contractant accèdent au bénéfice des réductions de retenue à la source sur intérêts et dividendes, à hauteur de la fraction de leur capital détenue par des investisseurs résidents de l’autre Etat.

– des stipulations sur les sociétés et fonds d’investissement immobilier, inspirées des travaux récents de l’OCDE, sont également ajoutées, afin d’exclure du bénéfice des taux réduits sur les dividendes les détenteurs d’au moins 10 % au capital. Elles confirment, a contrario, que les autres détenteurs y sont éligibles. Ces dispositions permettent de protéger le statut fiscal favorable dont bénéficient les organismes de placement collectif en valeur immobilières et les sociétés d’investissement immobilier cotées (OPCVI et SIIC).

Le nouvel accord met aussi un terme au dispositif de crédits d’impôt forfaitaires prévu par l’actuelle convention, conformément à ce qu’ont déjà fait ceux de nos partenaires européens qui ont renégocié la convention les liant à la Chine. Cette suppression sera favorable aux intérêts du Trésor. Initialement destiné à stimuler les investissements dans les pays en développement, ce système aboutit à rembourser aux entreprises davantage que l’imposition effectivement supportée. C’est ce que l’on appelait les « crédits d’impôts fictifs ». Concrètement, la convention de 1984 fixe un taux forfaitaire de 20 % du montant brut des dividendes, 10 % pour les dividendes payés par les entreprises à capitaux mixtes sino-étrangers et 10 % du montant brut des intérêts. Or, le taux de prélèvement effectué par l’Etat de la source, en l’occurrence la Chine, ne peut excéder 10 % du montant brut des dividendes ou des intérêts et il est même souvent inférieur.

Cette suppression est lissée au point 8 du Protocole pour ne pas mettre en difficulté les entreprises françaises. Les contrats de crédit-bail conclus avant le 1er mars 2012, pour la durée prévue par l’accord et si l’équipement a été livré avant le 1er janvier 2013, continueront à bénéficier du dispositif et les crédits d’impôt forfaitaires continueront à s’appliquer aux redevances pendant une période transitoire de vingt-quatre mois.

L’article relatif à l’échange de renseignements est actualisé sur la base des derniers standards de l’OCDE (article 26 bien connu) offre une meilleure base pour lutter contre la fraude et l’évasions fiscales, notamment en élargissant son application à tous les impôts et en limitant les possibilités d’opposition (un État ne peut pas refuser une demande de renseignements uniquement parce que ceux-ci ne présentent pas d’intérêt pour lui ou parce que ceux-ci sont détenus par une banque ou un autre établissement financier).

La coopération fiscale est déjà excellente avec la Chine, qui répond de manière satisfaisante et suffisamment rapide aux demandes françaises. C’est également l’appréciation portée par le Forum mondial de l’OCDE, qui juge la Chine « conforme » tant en ce qui concerne son cadre législatif (phase 1 de l’examen) que sa pratique effective (phase 2). La France a reçu la même. Cette notation est d’autant plus appréciable que plusieurs de nos grands partenaires, tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis ont seulement été jugés « en grande partie conformes ». On notera enfin que la Chine fait partie des quatre-vingt-treize pays qui se sont engagés à passer à l’échange automatique d’ici à 2018. Dans l’attente, le nouvel accord entre la France et la Chine s’appliquera.

Si on liste l’ensemble des bénéfices que nos entreprises et le Trésor public retireront des évolutions des dispositions bilatérales en matière d’élimination des doubles impositions, on peut s’interroger dès lors sur l’intérêt de la Chine dans cette négociation. Certes, la Chine a obtenu le maintien de certaines dispositions qui figuraient dans la convention de 1984 et qui lui sont globalement favorables, notamment des impositions à la source, mais les autres pays émergents avec lesquels la France a conclu des conventions, comme Hong Kong, aussi.

Pour les redevances, le taux de retenue à la source reste fixé à 10 % (6 % en ce qui concerne les redevances de crédit-bail), au même niveau que celui que viennent d’obtenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. Les rémunérations payées pour les droits d’auteur sur les films ou bandes utilisés pour les émissions radiophoniques ou télévisées ainsi que pour l’utilisation ou le droit d’utiliser un équipement continueront d’être incluses dans la définition des redevances, conformément au modèle de l’ONU. Le traitement des intérêts reste globalement inchangé (10 % des revenus à la source, ce qui est aussi favorable au Trésor français par rapport au modèle de l’OCDE).

L’opportunité pour la Chine de négocier un nouvel accord qui limite ses avantages antérieurs s’explique d’abord dans le fait que le pays voit dans la signature de nouvelles conventions fiscales un moyen de renforcer son insertion dans l’économie internationale d’une manière adaptée à sa propre évolution économique. L’actualisation de la rédaction de l’article relatif à l’échange de renseignements par exemple lui permet de réaffirmer l’importance qu’elle attache à la coopération en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

De plus, la Chine attache une importance essentielle au traitement fiscal des fonds souverains, et plus généralement des investisseurs publics et elle a obtenu des concessions sur ce point dans la nouvelle convention :

– les fonds souverains font l’objet d’une exonération sur les dividendes, intérêts et plus-values, à l’exception de celles de nature immobilière. Ce traitement favorable est réservé au fonds souverain chinois China Investment Corporation (CIC), instrument de politique économique majeure pour Pékin. En 2013, les 653,7 milliards de dollars d’actifs du CIC, investis partout dans le monde, ont généré un bénéfice net de 9, 3 %. Pour la France, c’est le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) qui est considéré comme « fonds souverain » ;

– plusieurs banques publiques chinoises figurent sur la liste des prêteurs exonérés de retenue à la source sur les intérêts. En effet, outre l’État et sa banque centrale, pourront bénéficier d’une telle exonération : la China Development Bank Corporation, l’Agricultural Development Bank of China, l’Export-Import Bank of China, le National Council for Social Security Fund, ainsi que les prêts garantis ou assurés par la China Export and Credit Insurance Corporation. Elles perdraient immédiatement le bénéfice de cet avantage si une part de leur capital revenait à un détenteur privé. Du côté de la France, les bénéficiaires de ce dispositif seront : BPIfrance, la Caisse des dépôts et consignations et les prêts garantis ou assurés par la COFACE.

Votre Rapporteur veut pour finir souligner que l’actualisation de la convention de 1984 a aussi pour vocation d’offrir un cadre pertinent pour les revenus réalisés et perçus en France et pour les flux sortants. Selon les données de la Banque de France, la Chine a investi 886 millions d’euros en France en 2013. Le stock des investissements chinois en France s’élevait à 2,7 milliards. On dénombrait en, 2012, 92 groupes chinois implantés en France au travers de 243 établissements. On estime que plus de 5 000 emplois ont aussi été créés ou maintenus (lorsqu’ils viennent en Europe, les Chinois travaillent avec les salariés locaux, n’impliquant qu’un ou deux cadres chinois).

C’est aussi l’intérêt de la Chine de renforcer et développer les échanges économiques entre les deux pays et d’augmenter le potentiel des investissements croisés. Dans l’optique d’un accroissement prévisible et souhaitable des investissements chinois en France, la bonne élimination des doubles impositions et des taux de retenue à la source bas sont un facteur non négligeable.

*

En conclusion je soulignerai à nouveau que l’accord est très attendu en Chine, mais aussi très favorable aux intérêts du Trésor français et que c’est la raison de l’essentiel des dérogations au modèle de l’OCDE, largement reproduit par l’accord.

La ratification de l’accord fiscal avant la fin de l’année ne présente pas seulement l’avantage symbolique de s’inscrire dans la myriade de contrats et de manifestations de la coopération franco-chinoise qui aura jalonné l’année 2014, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la reconnaissance da République populaire de Chine. Elle permettra aussi de retirer tous les bénéfices des clarifications, des aménagements et des nouvelles clauses qu’il contient dès 2015 si la notification est transmise au cours de ce mois de novembre.

En effet, l’entrée en vigueur sera alors acquise au 31 décembre 2014 et l’accord applicable aux sommes imposables en 2015 pour les impositions à la source et aux exercices débutant à compter du 1er janvier 2015. Par note verbale du 15 avril 2014, la Chine a informé de l’accomplissement de ses procédures internes requises pour la ratification de l’accord. Le projet de loi a été adopté par le Sénat  la semaine dernière. Je vous propose de faire de même. »