67ème anniversaire de la libération des camps

Jan 30, 2012 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Dimanche matin, avec Simone Lagrange, Présidente de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz-Birkenau et des camps de Haute-Silésie, j’ai présidé la cérémonie de commémoration du 67ème anniversaire de la libération des camps en présence de nombreuses personnalités dont mes collègues parlementaires François Brottes, Geneviève Fioraso et Jacques Chiron, ainsi que le Préfet de l’Isère. Voici le discours que j’ai prononcé à cette occasion :

« Je réclame justice pour des millions
Cette heure est pour l’éternité, me dit-on
Mais les millions ont disparu
Quelle justice puis-je réclamer ?« 

Le 27 février 1946, au soir de sa déposition devant le tribunal de NUREMBERG, le poète Abraham SUTZKEVER écrivait ces quelques vers qui résonneront encore longtemps dans nos consciences. Si nous sommes rassemblés ce matin devant le monument des déportés, représentants de la République et des collectivités, membres du CRIF et des associations, simples citoyens, c’est parce que nous n’en avons pas fini avec cette terrible question. Comment comprendre ce que fut AUSCHWITZ ? Et comment rendre justice à tous ceux qui ont été assassinés en ce lieu ?

Un an plus tôt, le 27 janvier 1945, un détachement de l’armée soviétique découvrait dans une forêt de Haute-Silésie un lieu dont l’existence le stupéfia tant il dépassait l’entendement humain. 6000 grabataires y agonisaient, tandis que 60000 autres déportés en avaient étés emmenés par les SS fuyant l’avancée de l’Armée Rouge dans les marches de la mort. Le monde apprendrait bientôt, lui aussi horrifié, le nom d’AUSCHWITZ-BIRKENAU. Il découvrirait également les camps de BELZEC, de CHELMNO, de MAJDANEK, de SOBIBOR et de TREBLINKA. Plus tard, bien plus tard encore, la SHOAH par balles nous serait révélée, de la LITUANIE à BABI YAR, pour qu’aucun crime, aucun martyr ne fût oublié. Près de 6 millions de Juifs ont alors été assassinés. Les trois quarts des Juifs d’Europe ont disparu. Une civilisation entière a été emportée, celle du Yddishland

Mais du plus grand génocide jamais subi par l’humanité, c’est AUSCHWITZ-BIRKENAU qui est demeuré le symbole. AUSCHWITZ où périrent 900000 Juifs, ainsi du reste que 200000 prisonniers soviétiques, que nous ne devons pas oublier eux non plus, parce que leur sang était aussi rouge comme nous le rappelle le Talmud pour proclamer l’égalité des êtres humains. AUSCHWITZ où furent martyrisés la plupart des 76000 Juifs déportés depuis la France, dont 11000 enfants. AUSCHWITZ dont il demeura cependant des survivants quand plus personne n’était plus là en 1945 pour témoigner de BELZEC ou de CHELMNO. Primo LEVI nous a fait partager son internement dans cette usine de la mort avec son très bel ouvrage Si c’est un homme. Des consciences morales comme Simone VEIL ou Henry BULAWKO, qui est décédé il y a quelques semaines, ont témoigné pour les générations futures de ce qu’aura été AUSCHWITZ. Ici même, à Grenoble, Simone LAGRANGE, Magda KAHANE et Charles MITZNER, que je veux assurer de mon affection et de la solidarité de notre Ville, portent dans leur chair et dans leur âme le souvenir douloureux de ce camp d’extermination. Leur mémoire est la preuve vivante de ce que furent la sélection à l’entrée du camp, le travail forcé, les chambres à gaz, les fours crématoires, les morts réduits en cendre sans kaddish ni épitaphe, le martyr de presque un million d’hommes, de femmes et d’enfants, la souffrance gratuite infligée à ces derniers nous mettant encore aujourd’hui en présence du mal le plus grand qui soit, du mal absolu.

Il nous est difficile, dans le confort de nos existences présentes, nous qui vivons en démocratie et dans l’Europe précisément née sur les cendres de la SHOAH, de nous représenter ce que furent ces destins de déportés – même si nous faisons naturellement l’effort d’imaginer la grandeur et la dignité du captif partageant son dernier bout de saindoux avec un camarade, de l’homme jeûnant le jour de Kippour malgré sa faiblesse parce qu’il voulait demeurer, même en enfer, un être humain, de l’interné demandant au SS « Pourquoi ? » parce que son esprit se refusait à comprendre la logique arbitraire de la barbarie.

Les 6 millions de victimes de la SHOAH ne nous demandent cependant pas seulement de les pleurer : elles exigent aussi que nous sachions nous souvenir d’où est venu le génocide et que nous ayons la pleine conscience de ce qu’il nous revient d’entreprendre pour en prévenir toute forme de répétition.

Si elle fut provoquée par la conjonction malheureuse de bien des circonstances historiques depuis la Première guerre mondiale, et si elle n’a été rendue possible que par la folie criminelle d’un homme entraînant tout un peuple, la SHOAH n’est pas qu’un accident de l’Histoire. Elle n’a pas été sans racines historiques. L’antisémitisme moderne s’est abreuvé du lait de l’antijudaïsme médiéval. Les ghettos, le port de la rouelle et les mesures vexatoires, les massacres jalonnant les croisades, les conversions forcées, les bûchers où furent brûlés les livres du Talmud à Paris sous Philippe le Bel et plus tard des êtres humains sous l’Inquisition auront préfiguré et préparé la destruction des Juifs d’Europe au cours du XX ème siècle.

« Crime contre l’humanité », nous dit-on ? L’expression est juste si l’on entend par là que l’ignominie hitlérienne a porté atteinte à l’humanité de chacun d’entre nous en révélant ce que les hommes pouvaient infliger de cruauté à leurs semblables. Mais je crois que cette affirmation peut être renforcée : le récit des persécutions antisémites est aussi celui du crime DE l’humanité contre un peuple exterminé pour avoir inspiré les fantasmes les plus inouïs. Du moins le paroxysme de la haine, cette haine contre laquelle s’est construit le monde contemporain, nous a-t-il enseigné où les préjugés, le racisme et l’antisémitisme menaient les peuples, quel crime futur se nichait parfois dans une simple réflexion. Voilà le premier enseignement que nous devons tirer de la connaissance d’AUSCHWITZ par fidélité à la mémoire de ses victimes. Il est, disons-le avec franchise, plus que jamais d’actualité dans un pays où près d’un tiers de nos concitoyens disent partager la peur de l’autre et approuver certains discours contraires aux valeurs républicaines.

Le deuxième enseignement d’AUSCHWIZ, c’est la nécessité d’être toujours vigilants envers tout ce qui pourrait de nouveau de nouveau évoquer l’Europe des années 30. Le jour de la libération d’AUSCHWITZ a été choisie par l’organisation des Nations-Unies pour être la date de la Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste et de prévention des génocides. Et cependant Marek EDELMAN, le dernier survivant de la révolte de Varsovie, voyait dans le massacre de SREBRENICA (prononcer : Srebrenitsa) la victoire posthume d’Adolphe HITLER. Depuis que le monde a proclamé « plus jamais ça » à la libération des camps, il s’est produit le Cambodge, le Rwanda et le Darfour. Le combat est encore à mener contre la bête immonde menaçant toujours de sortir de son ventre encore fécond.

En Europe même, où la crise économique provoque de nouveau des réflexes de peur et d’exclusion, les Musulmans ont remplacé les Juifs de l’avant-guerre dans les discours de l’intolérance. Les victimes ont changé. Le mal est toujours le même. Je veux dire à cette occasion, à madame la présidente Edwige ELKAIM et aux représentants du CRIF, combien j’ai apprécié les paroles fortes prononcées par le président PRASQUIER lors du dernier repas du CRIF de Grenoble pour dénoncer cette nouvelle stigmatisation. Mais les Juifs eux-mêmes, soixante-sept ans après la libération des camps, ne sont plus épargnés par ce vent mauvais qui se lève en Europe. Combattons cette résurgence de l’antisémitisme pendant qu’il en est encore temps. Qui s’est pourtant insurgé contre la présence dans le nouveau gouvernement dits de technocrates de l’un des Etats membres de l’Union de ministres représentant un parti nationaliste et ouvertement antisémite ? Qui a dénoncé le gouvernement de cet autre pays dont le premier ministre nomme à la tête du théâtre national une personnalité antisémite, entretient la nostalgie d’un ancien chef de l’Etat complice de la solution finale et ferme les yeux sur les exactions des milices fascistes assassinant des Roms et menaçant ce qu’il reste de la communauté juive ?

Il ne nous suffit pas d’honorer la mémoire des morts. Il nous faut encore sonner le tocsin pendant qu’il nous demeure possible de combattre le retour de l’intolérance malgré les crises économique, sociale et morale frappant notre vieux continent. J’ai confiance pour ma part en l’Europe pour repousser les démons du passé. Je sais que nos concitoyens ont appris des leçons de l’Histoire que le nationalisme faisait le malheur de tous, des non-Juifs comme des Juifs.

Voilà ce qu’il nous revient de méditer en ce dimanche matin devant le monument des déportés.
Voilà ce qu’il nous revient de proclamer en mémoire des 6 millions de victimes de la SHOAH.
Vive le devoir de mémoire, qui est un devoir d’histoire !
Vive l’Europe qui est notre avenir !
Vivent la démocratie, la liberté et la République !
Et vive la France, qui est la patrie de tous ses citoyens quelles que soient leurs origines, leurs religions ou leurs couleurs de peau !