Jeudi matin, en présence d’Odette NILES, Présidente de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé, amie de Guy Môquet, de nombreux élus de la ville et habitants du quartier, nous avons inauguré la rue Guy Môquet suitée face au Lycée des Métiers de l’Hôtellerie et du Tourisme du clos d’or. Une cérémonie pleine d’émotion, ponctuée de lectures, de musique et de chants.
Je vous invite à lire le discours que j’ai prononcé à cette occasion.
Madame la Présidente de l’amicale de Chateaubriand-Voves-Rouillé,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs les présidents d’associations, anciens combattants et résistants,
Messieurs Bruno TISSOT et Michel ODE
Mesdames et Messieurs,
« Je laisserai mon souvenir dans l’Histoire car je suis le plus jeune des condamnés ». Cette confidence faite peu avant de mourir par Guy MOQUET à l’abbé qui avait accepté d’assister les fusillés de Chateaubriand, cette confidence s’est révélée prémonitoire, elle continue soixante-dix ans plus tard d’éclairer notre mémoire de l’Occupation. C’est pourquoi, autorités républicaines, élus de la Ville de Grenoble, anciens combattants et résistants, nous sommes aujourd’hui réunis pour inaugurer la voie publique qui portera le nom de Guy MOQUET. Lorsque les derniers témoins des années noires et de la Résistance auront disparu, lorsque leurs vies qui auront pourtant influencé les pensées et les engagements des générations d’après-guerre ne demeureront plus que dans les livres d’histoire, au risque de se voir privées de leur éclat, les noms de nombreuses rues de notre ville feront encore vivre le dévouement et l’héroïsme, la grandeur d’âme et le patriotisme des martyrs, des justes et des combattants de la liberté.
Après Henry FRENAY et Pierre FUGAIN, et avant André LANVIN-LESPIAU – tous résistants associés à l’histoire de Grenoble -, le conseil municipal a tenu à rendre hommage à un symbole national en la personne de Guy MOQUET. Nul, en effet, n’aura plus que ce jeune homme fusillé à dix-sept ans incarné la beauté de la jeunesse qui s’était dressée pour défendre la liberté et la France. Cet hommage s’inscrit dans la longue tradition de notre ville pour honorer notre devoir de mémoire vis-à-vis de ceux grâce auxquels nous vivons dans l’indépendance et dans la dignité. Un devoir de mémoire rendu sans distinction ni des opinions politiques ou religieuses ni de l’origine ou de la nationalité de ces martyrs et ces héros. Comme le disait le général de GAULLE, il n’y avait autour de lui que des individus combattant pour la France. Cela était vrai de ceux qui croyaient au ciel comme de ceux qui n’y croyaient pas.
Notre hommage ne cherche pas à sacrifier à je ne sais quelle mode soudain attachée au nom de Guy MOQUET. Il ne cherche pas à capter son souvenir à des fins politiques. Un être humain n’est réductible à aucun discours, a fortiori lorsqu’il a accepté le sacrifice suprême qui lui confère à jamais une aura de mystère aux yeux des survivants. La mémoire de Guy MOQUET a néanmoins pour nous tous une valeur incontestable : celle de la grandeur des idéaux. Guy MOQUET avait contracté très tôt le goût de l’engagement citoyen. Son père, Prosper, est un militant actif du Parti communiste. Sa mère Juliette partage le combat de son mari. En juin 1936, Prosper MOQUET est élu député du Front populaire. Son fils de douze ans en éprouve une fierté qui ne le quittera jamais jusqu’à sa mort.
Quelques années plus tard, devenu lycéen, Guy MOQUET s’engage dans les jeunesses communistes avec enthousiasme. L’enthousiasme, c’est d’ailleurs le trait de caractère qui le caractérise en tout. Ses camarades de lycée raconteront après la guerre leurs souvenirs d’un jeune homme toujours joyeux, un « titi » volontiers gouailleur, qui écrivait des poèmes, qui plaisait aux filles, qui excellait dans les disciplines sportives. C’est d’ailleurs une constante des martyrs de l’Occupation : ceux qui ont consenti à mourir l’ont fait parce qu’ils aimaient la vie, mais c’est précisément parce qu’ils l’aimaient tant qu’ils en avaient une conception si exigeante et qu’ils n’auraient jamais pu accepter la médiocrité et la veulerie dans laquelle le régime de Vichy aurait voulu confiner les Français.
En juin 1940, la France est vaincue, un monde s’effondre. En cette époque troublée où beaucoup perdent toute certitude et tout repère, ces quelques mois où les militants communistes oscillent entre leur patriotisme et les directives ambigues de leur appareil clandestin, d’instinct Guy MOQUET veut agir . Il quitte sa famille, rentrant seul à Paris. Dès juillet, courant tous les risques, il se consacre à la propagande contre Vichy, il distribue des tracts, il recouvre de slogans les murs de la capitale. Son action ne durera pas longtemps. Le 13 octobre, dénoncé, il est arrêté par la police française avec des camarades au métro de la gare de l’Est. Il a seize ans. Il ne recouvrera jamais la liberté. Alors que ses camarades avouent que, plus déterminé qu’eux, Guy MOQUET ne cède rien aux pressions policières, il espère ainsi être bientôt libéré pour reprendre son action de propagande. Faute de preuve, la justice l’acquitte. Cependant un internement administratif par simple décision préfectorale l’empêchera de sortir de ses geôles. Vichy, qui représenta dès son origine la négation absolue du droit républicain, reprenait en les durcissant les procédures d’exception des deux dernières années de la III ème République, qui constituaient déjà des entorses graves au droit des personnes.
Souvenons-nous toujours bien d’ailleurs que Guy MOQUET est mort d’avoir vu un arrêté administratif se substituer à une décision de justice. Aucune époque n’est bien entendu comparable à l’Occupation, nulle autorité ne ressemble fort heureusement au régime de Vichy et personne ne risque aujourd’hui le martyre de Guy MOQUET. Cependant son histoire nous rappelle le droit de chaque être humain à voir son sort dépendre d’une justice indépendante plutôt que d’une administration obéissant par essence à des considérations politiques, c’est là même une exigence morale intemporelle.
Le jour de son acquittement, Guy MOQUET est conduit au dépôt de la Préfecture de police. Transféré à la Santé puis à Clairvaux, il échoue quatre mois plus tard au camp de Choisel, à Chateaubriand, où sont détenus de nombreux communistes. Interné dans la baraque des jeunes, il s’y distingue par sa prestance et son moral. Le camp de Choisel sera sa dernière demeure. Il sera aussi le lieu de son dernier amour.
Madame Odette NILES, qui nous faites l’amitié et l’honneur d’être aujourd’hui présente à Grenoble pour cette inauguration, ce n’est pas trahir votre secret – car vous l’avez-vous-même raconté – que de rappeler les tendres liens qui vous ont unie à Guy MOQUET par delà la barrière séparant les garçons et les filles au camp de Choisel. Vous avez été l’adolescente dont il a emporté le regret dans la tombe. Amour naissant, mais amour brisé par un destin contraire.
Le 20 octobre 1941, le colonel Karl HOTZ, feldcommandant des troupes d’occupation à Nantes, est assassiné par un commando de jeunes communistes. En violation de toutes les lois de la guerre, les nazis décident de faire fusiller des otages. Quarante-huit victimes innocentes paieront de leur vie l’exécution du colonel HOTZ. Seize à Nantes, notre ville amie faite elle aussi compagnon de la Libération par le général de GAULLE. Cinq au Fort du Mont Valérien, où nous commémorons depuis tous les ans l’appel du 18 juin. Et vingt-sept à Chateaubriand, dont Guy MOQUET sera le benjamin. L’Etat français de PETAIN collaborera à cette ignominie, même si les historiens nous rapportent que ce furent les allemands qui ajoutèrent le nom de Guy MOQUET dans la liste des fusillés.
Sur le point de mourir, le jeune homme montre une grandeur d’âme qui nous touche encore aujourd’hui et lui vaut la place symbolique qu’il occupe dans la mémoire nationale. On connait la lettre admirable écrite à ses parents : « j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose (…) 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous ». Il faut nous souvenir aussi de ce qu’il écrivit sur les murs de sa baraque au camp de Choisel : « Les copains / vous qui restez soyez dignes de nous ! » Les 27 qui vont mourir ». Et de ses mots confiés à Odette NILES : « Ma petite Odette, je vais mourir. Nous sommes courageux ».
Le 24 octobre, à 16 heures, Guy MOQUET est fusillé. Avec ses vingt-six camarades, il est mort avec dignité et courage. Ses bourreaux et leurs commanditaires, auxquels sont rapportées les circonstances du drame, les Allemands et les Collaborateurs, tous – nous le savons par des témoignages – ont compris le soir même que l’Histoire va glorifier les victimes et condamner leurs assassins. Confrontés à la dignité extraordinaire des otages martyrisés, ils se le disent déjà avec lucidité : ceux qui ont gagné, ce sont les fusillés. L’émotion provoquée par la mort Guy MOQUET et de ses camarades est considérable. Les tombes des martyrs sont fleuries par la population française aux couleurs de notre drapeau. La France libre rend hommage aux otages par la voix de la BBC. La condamnation internationale est unanime. Le président ROOSEVELT, malgré la neutralité encore observée alors par les Etats-Unis d’Amérique, rejoint Winston CHURCHILL dans un message anti-nazi à la suite de cet acte sans précédent. HITLER doit renoncer à exiger l’exécution de nouveaux otages.
Le soir du 16 mai 1941, Guy MOQUET est entré dans l’Histoire, dans la mémoire de la France, dans la légende de ces femmes et de ces hommes envers lesquels nous nous reconnaissons une dette imprescriptible parce qu’ils ont rendu le monde meilleur par leur force de caractère et par la grandeur de leurs idéaux. Avec Roland GORDON, plus jeune résistant français fusillé pour acte de résistance à l’âge de 15 ans, Pascal LAFAYE, plus jeune déporté depuis la France pour fait de résistance, lui aussi à l’âge de 15 ans, Hans et Sophie SCHOLL, les admirables résistants allemands de la Rose blanche, ou encore Anne FRANCK – qui a donné pour toujours un visage aux jeunes victimes de la Shoah -, Guy MOQUET personnifie parmi des millions d’autres hélas ces adolescents et ces enfants sacrifiées par la barbarie nazie, ces vies fauchées à la fleur de l’âge mais qui auront eu malgré tout le temps de nous laisser un beau message d’humanité et d’espoir.
Il était donc légitime de déroger pour une fois à la règle qui nous fait désormais rechercher dans notre histoire locale les noms de voies publiques. Grenoble, ville compagnon de la Libération, qui reprendra bientôt avec Nantes, l’Ile de Sein, Vassieux en Vercors et Paris le flambeau de l’Ordre national de la Libération pour faire vivre l’enseignement de la France combattante au sein du futur conseil national des communes compagnon, Grenoble se devait d’honorer l’un des plus beaux visages de la France apparu durant l’Occupation. Grenoble ville de la jeunesse, ville de l’avenir, Grenoble se devait de rappeler aux jeunes générations le message de l’idéal qui fut celui de Guy MOQUET. Je souhaite que les jeunes générations de Grenoblois se souviennent, en lisant sur ces plaques de rue le nom d’une vie trop tôt sacrifiée, tout ce qu’ils doivent à un garçon de leur âge tombé pour la France.
Vive le souvenir de Guy MOQUET !
Vive les idéaux de la Résistance !
Vive Grenoble !
Vive la République et vive la France !