Dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité, je suis intervenu hier soir en séance pour dénoncer les dispositifs résultant du désormais tristement célèbre discours prononcé à Grenoble par le Président de la République, notamment en ce qui concerne la déchéance de la nationalité. J’ai alors exhorté mes collègues à rejeter cet article contestable, détestable, inefficace et contraire à la Constitution. Il a malheureusement été adopté ce matin par 75 voix contre 57. Je fais désormais confiance à mes collègues Sénateurs socialistes pour continuer l’opposition à cette mesure, qui fera l’objet – si elle était définitivement acceptée par le Parlement – d’une saisine du Conseil constitutionnel.
Intervention – PDL immigration, intégration et nationalité
envoyé par Michel-DESTOT-Depute. – L’info video en direct.
Monsieur le Président,
C’est pour moi l’occasion avec cet article 3 de rappeler que le dispositif proposé résulte d’une disposition introduite à la suite du désormais tristement célèbre discours prononcé à Grenoble par le Président de la République.
Comprenez que je tienne à dire ici, simplement mais solennellement, devant la représentation nationale, à quel point la population grenobloise a été choquée et blessée de voir le nom de Grenoble, ville multiculturelle, ville ouverte sur le monde, associé à ce discours jugé stigmatisant, comme l’avait précédemment été celui de Dakar, discours de Dakar concernant l’Homme Africain qui ne serait – je cite – « pas assez entré dans l’Histoire »…
Je veux ici rappeler que Grenoble s’est illustrée dans son histoire pour les Droits de l’Homme, pour l’émancipation des citoyens en organisant en 1788 les Etats généraux du Dauphiné à Vizille, annonçant la grande Révolution française.
Grenoble, ville faite Compagnon de la Libération par le Général de Gaulle en 1944, en reconnaissance de son combat contre la barbarie nazie. Grenoble, « Capitale des Maquis » selon l’expression de la BBC, ces maquis où l’on ne demandait pas la carte nationale d’identité des Résistants.
Grenoble, ville qui a connu comme Député la grande figure de Pierre Mendès-France, dont les plaidoyers pour la « République moderne » s’adressaient en particulier aux jeunes, à tous les jeunes sans distinction, « avenir de notre pays » selon ses propres termes.
Grenoble, ville dont mon prédécesseur Hubert Dubedout, Maire pendant 18 ans, était passionnément attaché à la construction d’une société aux couleurs du monde.
Oui, Grenoble méritait mieux …
Et, je veux le dire, tout cela est pour nous insupportable, quand on sait déjà la meurtrissure qu’a constitué pour Grenoble l’hyper stigmatisation de notre ville, d’un de ses quartiers, d’une de ses communautés. C’est insupportable qu’on ose faire l’amalgame entre délinquance et immigration.
Concernant la déchéance de la nationalité, que nous allons aborder dans l’article 3 bis, vous l’avez-vous-même reconnu, Monsieur le Ministre, c’est avant tout un « symbole », mais quel triste symbole pour la patrie des Droits de l’Homme ! Il s’agit d’une énième mesure de circonstance, dictée par l’actualité, comme nous en avons malheureusement pris l’habitude avec votre Gouvernement.
Soyons clairs : nous ne pouvons que condamner avec la plus grande fermeté les atteintes physiques portées aux personnes dépositaires de l’autorité publique. Mais, puis-je vous rappeler qu’un arsenal législatif conséquent est déjà en vigueur en la matière ?
Aussi, le caractère dissuasif de cette mesure de déchéance de la nationalité apparaît particulièrement inefficace au vu de la longue peine d’emprisonnement qu’encourt toute personne condamnée pour un tel crime !
Et qui plus est, on l’a déjà dit, la liste restrictive des fonctions citées dans cet article exclut des professions pourtant tout aussi fondamentales et nécessaires à notre République. Le meurtre d’un enseignant, d’un ouvrier, d’un ingénieur, d’un médecin ou d’une infirmière serait-il moins grave que celui d’un policier ou d’un gendarme ? Et un tel meurtre serait-il moins condamnable lorsqu’il est commis par – expression que je réprouve – un « bon petit Français » que lorsque son auteur est une personne naturalisée depuis moins de dix ans ?
Nous le voyons donc bien : il s’agit là d’une décision idéologique, prise en toute hâte et bien loin des réalités du terrain, conduisant à des mesures législatives aussi absurdes qu’irréalistes et inapplicables !
Par ailleurs, Monsieur le Ministre, au-delà de la légitimité et de l’efficacité plus que contestables de cette disposition, son problème fondamental est la rupture d’égalité qu’elle introduit entre les citoyens Français. Celle-ci est pourtant garantie dès l’article 1er de notre Constitution : « La France […] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Tout cela est d’autant plus grave qu’aujourd’hui, dans notre pays marqué par un véritable délitement du lien social, il faut au contraire rassembler. La crise économique et sociale qui secoue notre pays s’accompagne pour beaucoup de nos concitoyens d’un cortège de peurs, d’inquiétudes sur l’avenir, pour soi et pour ses enfants. Est-ce bien le moment de diviser au lieu de rassembler ? Pour pointer du doigt l’autre, au lieu de montrer les voies et les moyens d’un espoir retrouvé… Moi, je préfère et je vous le dis, reprendre cette belle formule de Jean Cocteau « passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage »…
Etablir deux catégories de citoyens signifierait pour tout étranger naturalisé qu’il ne fait pas partie à part entière de la communauté nationale. Tout cela ne peut qu’attiser les tensions, que fracturer la cohésion sociale dans notre pays, là où nous avons besoin de réintroduire la paix sociale.
Monsieur le Ministre, vous avez déclaré avoir pour ambition de « faire des étrangers de bons petits Français », je vous invite pour ma part à commencer par faire de bonnes lois assurant la cohésion sociale !
Mes chers collègues, le législateur n’a pas vocation à créer des catégories de sous-citoyens. C’est pourquoi, je vous exhorte à rejeter cet article contestable, détestable, inefficace et contraire à la Constitution !