Commémorations et expositions : Grenoble se souvient

Nov 5, 2013 | 3e circonscription, Actualités | 0 commentaires

Émotion et recueillement à l’occasion de l’hommage rendu aux Troupes de montagne, du 69e anniversaire de la remise de la Croix de la Libération à la Ville de Grenoble par le général de Gaulle et du 70e  anniversaire des événements de novembre 1943 en présence notamment du colonel MOORE, Délégué national du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », du Général HOUSSAY,  Commandant la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne, et du Général KLEIN, Président de la Fédération pour le rayonnement et l’entraide des soldats de montagne (FRESM).

Une journée rythmée par de nombreux temps forts: réunion au mémorial des troupes de Montagne sur le Mont Jalla, inauguration de la plaque à la mémoire des soldats de la garnison morts pour la France en Afghanistan devant le Musée des Troupes de Montagne à la Bastille, dépôt de gerbe du Conseil National des Communes Compagnon de la Libération devant la plaque des treize Compagnons de la Libération de l’Isère et inauguration des expositions « Résister ! Les Compagnons de la Libération 1940-1945 » et « Grenoble-Isère 1943, Résistance et répressions – portraits »

L’occasion dire et redire le souvenir ému et fidèle qui unit les Grenoblois aux soldats de montagne, à celles et ceux qui ont laissé leur vie ou sacrifié leur intégrité dans ce combat sans fin pour la paix. Et de rappeler, au-delà de la seule gratitude, leur amitié à celles et ceux qui s’engagent aujourd’hui en leur nom de par le monde pour la défense des valeurs de la République et de la démocratie. Si  la traditionnelle proximité entre les troupes de montagne et la population des Alpes a été amoindrie par la suppression de la conscription et la professionnalisation des Armées, elle n’a pas été rompue – et j’ai insisté sur le fait qu’il est de notre responsabilité partagée de l’entretenir.

L’occasion également de rendre un hommage appuyé aux soldats tombés en opération extérieure : le chef d’escadron Christophe SCHNETTERLÉ, le major Denis ESTIN, le major Fabien WILLM, le maréchal des Logis Geoffrey BAUELA et le major Franck BOUZET. Ils sont morts au nom de valeurs justes et nobles. Les valeurs de paix, de liberté, de démocratie, de souveraineté des peuples. Comme l’a rappelé dernièrement le Président de la République : « La France doit à son armée une part éminente de sa grandeur, de son indépendance, de son rayonnement dans le monde, aussi. Elle lui doit d’être restée une Nation libre, et de pouvoir défendre l’idée qu’elle se fait de la dignité de l’Homme. Elle lui doit de pouvoir veiller sur son idéal ».

La journée s’est poursuivie avec le dépôt de gerbe du Conseil National des Communes Compagnon de la Libération puis par l’inauguration des très belles expositions « Résister ! Les Compagnons de la Libération 1940-1945 » et « Grenoble-Isère 1943, Résistance et répressions – portraits » à l’hôtel de ville.

Je vous invite à prendre connaissance du discours que j’ai prononcé à cette occasion.

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Délégué national du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »,

Messieurs les représentants des communes « Compagnon de la libération »,

Monsieur le représentant du Conseil régional,

Madame la vice-présidente du Conseil général,

Mon général, commandant la 27ème brigade d’infanterie de montagne,

Monsieur le directeur départemental de l’ONAC,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les présidents d’associations de résistants et anciens combattants,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis, chers Grenoblois,

 

Juin 1940.

Le 16 au soir, le Maréchal Pétain devient Président du Conseil en remplacement de Paul Reynaud.

Le 17, il appelle à cesser le combat, annonce la capitulation du pays et « fait à la France le don de sa personne pour atténuer son malheur ».

Le 22, l’armistice est signé entre le représentant du Troisième Reich allemand et celui du gouvernement français. Il met fin aux hostilités ouvertes par la déclaration de guerre du 3 septembre 1939 et établit les conditions de l’occupation de la France par l’Allemagne.

Le 10 juillet, (je cite Léon Blum) « infectés par le poison de la peur, la peur du vide, la peur de se voir imposer par les Allemands ce qu’ils refuseraient à Pétain », les parlementaires renoncent à une majorité écrasante à s’opposer au coup de force.

Le Maréchal s’octroie le lendemain le titre de Chef de l’État français, qu’il conservera durant les quatre années de l’occupation allemande. Les institutions républicaines et les libertés fondamentales sont abolies. Le pays est engagé dans la « Révolution nationale » et dans la collaboration d’État avec l’Allemagne nazie.

Le 10 juillet 1940, quatre parlementaires isérois refusent de voter les pleins pouvoirs à Philippe Pétain : les députés Léon Martin, Lucien Hussel, Séraphin Buisset et le sénateur Léon Perrier.

Ce sont les premiers gestes de refus. Des gestes fondateurs, qui levaient clairement le doute et qui montraient la voie à suivre. Et la voie à suivre, c’était celle de la résistance. La résistance à l’occupant nazi.

Dans une France qui ne sera pas épargnée par les lâchetés et les compromissions de la collaboration, ces premiers gestes seront suivis d’autres, de beaucoup d’autres. Parfois sublimes, souvent modestes, toujours risqués, ils seront le salut et la fierté de notre ville.

Comme tout le sud de la France, la région Rhône-Alpes n’a pas à subir la présence de l’ennemi jusqu’au mois de novembre 1942. De novembre 1942 à septembre 1943, l’Isère est un des 11 départements de la zone libre « occupés » totalement ou partiellement par l’armée italienne. Pendant l’été 1943, l’Allemagne se débarrasse de l’Italie, alliée devenu incertaine, et se trouve seul maître de la situation.

En septembre 1943, les troupes allemandes entrent dans Grenoble.

La véritable répression commence.

La Gestapo s’installe. Les actes de résistance se multiplient. Les arrestations de réfugiés et de résistants aussi. Le 6 octobre, ils sont 15 000 à assister aux obsèques de l’ingénieur André Abry. Le 11 novembre, ils sont 1500 rassemblés près du monument des Diables Bleus pour commémorer la victoire de 1918 : 400 d’entre eux seront déportés, 120 seulement reviendront. Ce sera ensuite l’explosion du Polygone d’artillerie le 14 novembre, puis les journées assassines de la fin novembre 1943 – puis l’explosion de la caserne de Bonne, le 2 décembre… et encore des mois de souffrances à venir.

Le magnifique courage opposé par les Grenoblois à la terreur et au crime au long de l’automne sanglant de1943 avalu à notre Ville de recevoir la croix de l’Ordre de la Libération.

Mesdames et Messieurs, c’est la dernière fois que je m’exprime à cette tribune en tant que Maire puisque mon mandat touche à sa fin et que je ne me représenterai pas aux suffrages en mars prochain. Je suis donc particulièrement ému d’être devant vous aujourd’hui pour rappeler ces événements terribles et commémorer l’honneur solennel rendu le 5 novembre 1944 à l’héroïsme de ces hommes et ces femmes d’un temps qui s’efface.

Vous me permettrez d’évoquer particulièrement la mémoire du Général Alain LE RAY, qui prit le commandement des Forces de l’Intérieur de l’Isère au début de mai 1944 après la disparition tragique du commandant Albert de REYNIES, tombé dans un guet-apens. Tous deux ont participé de façon déterminante à la victoire et il est juste de les associer à cet hommage.

Et puis je voudrais citer ici les Chanceliers de l’Ordre dont j’ai eu l’immense privilège de croiser la route au fil de ces années : le Général d’Armée Jean SIMON, le Général d’Armée Alain de BOISSIEUX, Pierre MESMER, François JACOB et, depuis 2001, Fred MOORE. J’y associe bien sûr les secrétaires généraux de la Chancellerie de l’Ordre : le  colonel Loïc LE BASTARD et Yvan THIEBAUT.

Enfin, parce que c’est aussi d’un travail d’équipe qu’il s’agit, je souhaite saluer mes collègues élus qui se sont investis à mes côtés durant toutes ces années sur les questions de mémoire : Jean-Paul ROUX, Georges LACHCAR et Jean-Michel DETROYAT. Je les remercie pour la fidèle attention avec laquelle ils ont veillé à ce que nous assumions la responsabilité de « porter devant les générations futures le patrimoine immatériel du seul Ordre incarnant les valeurs de la Résistance ».

Depuis 1995, ces rencontres de la mémoire ont été pour moi des moments toujours impressionnants et parfois bouleversants. Des moments où je me suis senti immensément redevable à ceux qui ont fait face aux pires épreuves et les ont surmontées pour bâtir avec constance, avec vaillance, le beau pays dans lequel nous vivons. Un pays de culture, de valeurs et de principes. Un pays pacifique, fraternel et ouvert sur le monde. Un grand et beau pays, vraiment.

Et puis … j’aime passionnément ma ville. Cette ville telle qu’elle est aujourd’hui évidemment, car 18 ans passés à la tête d’une collectivité, c’est beaucoup de travail, de projets, de doutes, de motifs de satisfaction mais d’épreuves aussi … Cette ville qu’il faut sans cesse reconstruire sur elle-même parce que la place lui est comptée entre les trois massifs qui l’enserrent et les deux cours d’eau qui la traversent … j’en aime la vitalité, le dynamisme, la diversité, le rapport de confiance qu’elle entretient avec elle-même, sa capacité à se renouveler et à se réinventer.

Cette ville, je l’aime au présent et au passé aussi – un passé tumultueux, souvent frondeur, dont on extrait sans peine les épisodes remarquables qui attestent son ardeur.

Ainsi, quel honneur – quel insigne honneur – d’être le maire d’une ville reconnue le 4 mai 1944, « Compagnon pour la Libération de la France dans l’honneur et par la victoire ».

Le 11 novembre 1941, c’était Nantes.

Le 24 mars 1945,  Paris.

Le 4 août 1945, Vassieux.

Le 1er janvier1946, l’Ile de Sein.

Cinq villes Compagnon aux côtés des 18 unités combattantes et 1 036 personnes également honorées – dont 700 seulement ont survécu à la guerre.

Cinq villes qui sont désormais les gardiennes de la mémoire combattante avec l’instauration, le 16 novembre dernier, du Conseil National des Communes « Compagnon de la Libération ».

Certes, nous sommes soucieux d’assumer notre responsabilité historique et de contribuer à perpétuer le souvenir des événements tragiques et glorieux qui ont justifié l’attribution de ces titres.

Mais nous sommes là aussi pour affirmer avec force que  le combat des résistants n’est pas seulement une période close dont les seuls acteurs, témoins ou historiens pourraient faire un usage légitime.

Nous sommes là pour contribuer à la « méditation inépuisable » qu’appelle l’imagination criminelle nazie – pour reprendre l’expression de Vladimir Jankélévitch. Et qui hélas trouve sans cesse de nouveaux champs de déploration.

Nous sommes là pour rappeler que la Résistance n’est pas réductible à un seul modèle, à une seule expérience. Rappelons-nous ce que disait André Malraux le 2 septembre 1973 en évoquant l’écrasement tragique du Maquis des Glières : « Le mot « non » fermement opposé à la force, possède une puissance mystérieuse qui vient du fond des siècles… La Résistance n’échappait à l’éparpillement qu’en gravitant autour du « non » du 18 juin. Les ombres inconnues qui se bousculaient aux Glières dans une nuit de Jugement dernier n’étaient rien de plus que les hommes du « non » – mais ce « non » du maquisard obscur collé à la terre pour sa première nuit de mort suffit à faire de ce pauvre gars, le compagnon de Jeanne et d’Antigone… ».

Il y a eu le « non » glorieux de ceux qui ont emprunté la « voie droite » que la France aime célébrer, mais aussi les multiples « non » de ceux qui ont pris  les  « sentiers obliques » de la non-résignation, du non-consentement, du refus à bas bruit. Tous ces « non », ajoutés les uns aux autres, agrégés, entraînés, portés, sublimés, tous ces « non » ont pesé dans la bataille. Et tous méritent d’être salués, au regard de l’histoire.

Finalement, il me semble que nous sommes avant tout là, avec d’autres – mais avec une obligation particulière -, pour faire œuvre de réactivation et d’injonction.

Raviver la flamme de la résistance, c’est  savoir à quoi il faut dire « non » mais aussi à quoi il faut savoir dire « oui », au nom de cet élan, de cet optimisme, de cette force de vie irrépressibles qui animaient la Résistance.

La France en crise doute d’elle-même. L’Europe, ce « vieux continent », semble naviguer à vue, davantage orientée par les écueils à éviter que portée par un projet. Les instruments des Etats paraissent dérisoires face aux lois du marché et au cynisme de la finance. Il y a, dans beaucoup de pays du monde, des aspirations à la paix outragées et des droits fondamentaux bafoués. Il y a la nécessité de tous temps de lutter contre les injustices, contre les inégalités de tous ordres. Et puis il y a face à nous une nécessité écologique qui exige un véritable dessein modernisateur – une entreprise de substitution au modèle actuel avec de l’innovation sur tous les plans : technologique, économique, social, sociétal, politique…

La France est redevenue un grand pays après la lourde défaite de 1940 et la terrible épreuve de l’occupation. Elle le doit à ceux qui ont refusé la fatalité et défendu la démocratie et la République. L’Europe s’est construite sur les ruines de deux guerres ravageuses qui l’ont dévastée à deux reprises en 30 ans. Elle le doit à ceux qui ont montré que la volonté trouve toujours son chemin lorsqu’une ambition supérieure est formulée et portée.

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer » : ainsi se terminait l’appel « aux jeunes générations » lancé en 2011 par un certain nombre de vétérans de la lutte contre l’Occupation.

Ne l’oublions jamais : la mémoire des violences du passé est aussi celle des promesses fondatrices.

Et des promesses tenues. A nous d’engager dans cette voie les générations présentes et à venir.

Vive le souvenir de la Résistance !

Vivent l’Ordre de la Libération et le Conseil national des Communes Compagnon !

Vive la République et vive la France !